Publié par Line et Louanne 

Elle s’assit à son secrétaire, et écrivit une lettre qu’elle cacheta lentement, ajoutant la date du jour et l’heure. [...] Et elle se coucha tout du long sur son lit. Une saveur âcre qu’elle sentait dans sa bouche la réveilla. Elle entrevit Charles et referma les yeux. [...] Elle s’épiait curieusement, pour discerner si elle ne souffrait pas. Mais non ! rien encore. Elle entendait le battement de la pendule, le bruit du feu, et Charles, debout près de sa couche, qui respirait.

— Ah ! c’est bien peu de chose, la mort ! pensait-elle ; je vais m’endormir, et tout sera fini ! [...]

N’étais-tu pas heureuse ? Est-ce ma faute ? J’ai fait tout ce que j’ai pu pourtant !

— Oui…, c’est vrai…, tu es bon, toi !

Et elle lui passait la main dans les cheveux, lentement. La douceur de cette sensation surchargeait sa tristesse ; il sentait tout son être s’écrouler de désespoir à l’idée qu’il fallait la perdre, quand, au contraire, elle avouait pour lui plus d’amour que jamais ; et il ne trouvait rien ; il ne savait pas, il n’osait, l’urgence d’une résolution immédiate achevant de le bouleverser. Elle en avait fini, songeait-elle, avec toutes les trahisons, les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient. Elle ne haïssait personne, maintenant ; une confusion de crépuscule s’abattait en sa pensée, et de tous les bruits de la terre Emma n’entendait plus que l’intermittente lamentation de ce pauvre cœur, douce et indistincte, comme le dernier écho d’une symphonie qui s’éloigne.

Madame Bovary, Gustave Flaubert, partie III, chap. 8, pp. 426-449

© G.L

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Je sens encore le poison dans ma gorge, un goût amer qui me rappelle la situation dans laquelle je me trouve et qui me fait honte. Je n’ai plus aucune raison de rester, ou du moins plus aucune raison assez forte pour me convaincre. Jamais je n’accepterais de vivre sans le sou de toute façon. Je ne fais qu’imaginer les visages des habitants de Yonville en voyant ma maison saisie, leur expression de dégoût en me voyant, leurs rictus mauvais et leurs moqueries à l’idée de savoir que moi, Mme Bovary, ai tout perdu. La mort est la meilleure option pour pouvoir garder mon honneur.

Mais, même si ma situation est irréversible, je ne cesse de penser à Charles en me rendant compte qu’il était un bon mari. Certes, à la conversation inintéressante et lent d’esprit, mais il était le seul qui tenait réellement à moi. Le jour de notre rencontre, les nuages laissaient passer quelques rayons de soleil et c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un comme lui. Quelqu’un qui puisse m’apporter la richesse nécessaire à mes besoins. Tous les récits de mon adolescence, je les ai retrouvés ici, à Yonville en compagnie de Léon. Homme d’intelligence, de beauté et de culture, tout ce dont j’avais rêvé. Le malheur qui suivit son départ m’a dévasté autant qu’il m’a construit, Dieu m’a aidé. Je pensais m’en remettre et je pense qu’il n’y a pas d’amour sans douleur. Rodolphe est ensuite apparu comme une fleur au printemps, une vague de tendresse apaisante. L’adrénaline que me procuraient ses lettres au fond du jardin m’a fait renaître. Mais, encore une fois, il est parti en m’abandonnant à mon triste sort. Puis Léon est réapparu comme si rien n’avait changé et il m’a fait connaître le bonheur à nouveau. Je sais que je suis allongée sur mon lit de mort, près de la fenêtre par laquelle j’observais mes amants et la seule chose de laquelle je ne peux me détacher est le fait que je suis seule et que je mourrai seule car personne n’a vraiment su me comprendre. Et puis Berthe, mon petit être que j’aurais dû chérir, mais je n’ai pas pu… Ma fille dont j'aurais dû mieux m'occuper, mais qui pourra surement trouver l'amour que je ne lui ai pas donné dans les bras de son père, une fois que je serais partie.

Je sens que le poison agit toujours mais c’est comme si la douleur ne faisait que traverser mon corps délicatement. Peut-être que j’ai enfin atteint la paix que je cherchais. Et maintenant je vais mourir en laissant tous mes problèmes derrière moi, en abandonnant, certes ma famille, mais en restant digne jusqu'à la fin. C'était sûrement mon destin depuis le début, une fin glorieuse et tragique terminant l'histoire de ma vie. En effet, j’ai beau avoir des regrets, je n’ai aucun remords, j’ai vécu pleinement, aimé passionnément. Jeanne a fini au bûcher, la tête haute avec ses convictions. Moi, bourgeoise, tête levée, je sens que je vais m’éteindre dans quelques heures, voire quelques instants. Mais je n’ai pas peur, je vais enfin pouvoir rejoindre ce monde qui m’a toujours tant manqué.

 

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