Publié par Camille LP

         « Elle monta au second étage du château, pâle comme si elle fût allée à la mort. Pour comble de misère elle sentit qu’elle était sur le point de se trouver mal ; mais la nécessité de rendre service à Julien lui rendit des forces.

Il faut que j’aie cette boîte, se dit-elle en doublant le pas.

Elle entendit son mari parler au valet de chambre, dans la chambre même de Julien. Heureusement, ils passèrent dans celle des enfants. Elle souleva le matelas et plongea la main dans la paillasse avec une telle violence qu’elle s’écorcha les doigts. Mais quoique fort sensible aux petites douleurs de ce genre, elle n’eut pas la conscience de celle-ci, car presque en même temps, elle sentit le poli de la boîte de carton. Elle la saisit et disparut.

À peine fut-elle délivrée de la crainte d’être surprise par son mari, que l’horreur que lui causait cette boîte fut sur le point de la faire décidément se trouver mal.

Julien est donc amoureux, et je tiens là le portrait de la femme qu’il aime ! »

Le Rouge et le Noir, Stendhal, Partie I, Chapitre IX, p.76-77

Seigneur, ayez pitié  © C. LP.

Seigneur, ayez pitié © C. LP.

          Mon dieu, je sens mon cœur battre à tout rompre à l’idée que Julien puisse en aimer une autre. C’est pourtant ma main qu’il tenait dans la sienne sous le tilleul ! Je suis certaine qu’il éprouve pour moi quelques sentiments.

        Et pourtant, qu’est-ce que ce tableau dissimulé dans sa chambre ? Je ne pourrais supporter qu’une femme vienne tuer notre amour naissant. Oh Seigneur, ayez pitié de moi !

        Mais que suis-je en train de faire ? Il me faut me ressaisir, je n’ai pas le droit de céder à ces tentations. Dieu ne saurait me pardonner d’être une mauvaise épouse, je dois fidélité à Monsieur de Rênal. Comment ai-je pu m’abandonner à des sentiments envers un homme qui n’est pas mon mari ? Je dois me confesser sur le champ. Je dois aller trouver le curé Chélan, il saura me dire quoi faire. Il sait que je suis une femme de morale, il ne me jugera pas. Peut-être saura-t-il trouver les mots pour me guider et, de plus, il gardera le secret, car nul ne doit savoir ce qui me tourmente.

Que dirait-on de moi à Verrières ? La femme du maire amoureuse d'un fils de charpentier ! Les gens me verraient comme une femme dépourvue de valeurs, une épouse sans morale, je serais alors rejetée. Je serais punie par le Ciel si je me livrais à de tels pêchés, et mes enfants, ces pauvres petits, que deviendraient-ils sans leur mère ? Je ne saurais leur faire subir une telle humiliation. J’en appelle à vous Seigneur, ne me laissez pas succomber au Mal !

        Et pourtant, aimer n’est pas un crime. De plus, Monsieur de Rênal ne m’aime pas, lui. Il ne me voit que comme la mère de ses enfants, une femme faible, alors que Julien me considère comme son amante. Je vois dans le regard qu'il porte sur moi toute la tendresse qu'une femme mérite, celle que Monsieur de Rênal n'a jamais exprimée à mon égard.

        Mon Dieu, je suis si malheureuse, seul l’amour de Julien me comble.

        Non, je ne dirai rien, pas même au curé Chélan, cela pourrait causer du tort à Julien, il serait chassé de la maison et je ne saurais me le pardonner. Je dois garder cet amour secret, seul le Seigneur sera juge de mes actes.

 

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