Publié par Eva et Romane

« Elle entra dans le corridor où s’ouvrait la porte du laboratoire. Il y avait contre la muraille une clef étiquetée capharnaüm.

Justin ! cria l’apothicaire, qui s’impatientait.

Montons !

Et il la suivit.

La clef tourna dans la serrure, et elle alla droit vers la troisième tablette, tant son souvenir la guidait bien, saisit le bocal bleu, en arracha le bouchon, y fourra sa main, et, la retirant pleine d’une poudre blanche, elle se mit à manger à même.

Arrêtez ! s’écria-t-il en se jetant sur elle.

Tais-toi ! on viendrait…

Il se désespérait, voulait appeler.

N’en dis rien, tout retomberait sur ton maître !

Puis elle s’en retourna subitement apaisée, et presque dans la sérénité d’un devoir accompli. »

 

Madame Bovary, Flaubert - PARTIE III, Chapitre 8

L'agonie d'Emma © Romane (portrait inspiré du film 'Madame Bovary' de 1991)

L'agonie d'Emma © Romane (portrait inspiré du film 'Madame Bovary' de 1991)

Ses pieds suivaient machinalement le chemin tortueux qui la ramenait chez elle,

alors qu’elle arpentait les allées aux fleurs fanées. 

Rodolphe, Léon… Charles. Ah ! Tous ces souvenirs envahissent mon esprit. Chaque instant passé avec mes amants, leur compagnie rafraîchissant mon cœur meurtri, défile comme les pages d’un roman dans ma tête. Ai-je épuisé toute la joie qu’ils ont pu me faire ressentir ? Je n’ai plus rien à penser d’eux, tout au plus m'ont- ils permis de passer le temps dans cette vie monotone. Mais tout cela touche à sa fin. Rodolphe…Peut-être ton amour aurait-il pu être plus fort, et toi Léon, vas-tu pleurer sur ma tombe ?

 Autour d’elle flottaient les cimes des arbres au vent,

tout comme ses cheveux défaits.

Elle semblait tout juste sortie d’une torpeur qui la laissait sans voix.

Je n’ai plus la force de pleurer, toutes mes larmes ont déjà coulé, lorsque je me suis rendue compte que personne ne me viendrait en aide. Seulement, il aurait suffi un regard, un geste, une parole sincère, pour me sentir aimée et me rendre ma vitalité gâchée lorsque j’ai épousé Charles. Cela était donc trop demandé ? Mon cœur souffre de ce manque d’amour qu’il m’a été impossible de combler.

Un tourbillon d’émotions prit place en elle,

reflétant les feuilles d’automne voltigeant dans les airs.

Mon cœur a-t-il vraiment battu pour eux, ou a-t-il seulement été épris d’un sentiment de soulagement et de légèreté, à l’idée qu’il possédait enfin quelqu’un d’autre pour le serrer ? Que je n’étais plus seule à devoir prendre soin de moi-même ? Je vivais une existence des plus fades, qui, je le croyais, retrouverait de la saveur dans ce qui m'était interdit. Mais tout cela semble si lointain maintenant, peut-être n’ai-je imaginé tous ces sentiments que pour m’apporter réconfort. Cette tristesse enfouie en moi, enterrée sous ma peau et cachée derrière mes sourires feints à chaque réveil, ne s’était-elle donc jamais éteinte ? N’ai-je donc jamais été heureuse ? Pourtant, j’ai ri avec Rodolphe. J’ai été prise d’un sentiment si fort lorsque Léon m’embrassait et m'entourait de ses bras. Et quelle sensation était-ce lorsque j’allais les voir ! Et même dans ma jeunesse, n’étais-je donc pas éprise de Charles ? J’avais pourtant l’impression que tous mes malheurs s’évaporaient lorsque je sentais mon cœur gonfler dans ma poitrine. Pourtant, aucun d’eux ne m’a vraiment apporté satisfaction…

Le bruit crissant de ses pas sur les graviers durs,

la pluie qui martelait chaque partie de son corps,

le froid qui passait sous ses vêtements et caressait sa peau,

tout cela la laissait de marbre, tant elle était perdue dans ses pensées.

La vague de désespoir dans laquelle je me noyais depuis des années a finalement englouti toute mon âme, et je ne peux trouver qu’un certain réconfort dans le sommeil éternel qui m’attend. Serais-je presque impatiente ? Peut-être n’étais-je destinée qu’à périr comme toutes ces héroïnes ayant bercé ma jeunesse ? Il est certain que je serai maintenant considérée comme telle.

Petit à petit, dans sa tête, germait l’idée d’une mort héroïque,

où tout le monde se souviendrait d’elle.

Lorsque je quitterai simplement cette vie ce soir, chaque personne connaissant mon nom pourra se rappeler d’Emma Bovary, qui après tant d'efforts, a succombé. Je partirai allongée dans mon lit, personne n'osera dire quoi que ce soit et je serai exemptée de la douleur de voir mes biens se faire emporter. Je n’aurai pas à affronter les regards, mais l’on se souviendra de moi.

Dans ses yeux pétillait une lueur étrange,

comme si sa vie prenait tout d’un coup sens

et elle se sentit plus vivante qu’elle ne l’avait jamais été.

Ce malheur qui me rongeait jusqu’aux os, traversant chacun de mes pores et s’imprégnant du peu de lueur de vie que je possédais, va enfin cesser. Je cesserai d’être l’épouse du docteur, je cesserai d’être l’amante d’un homme, je cesserai d’être la mère d’une fille. Je serai Emma Bovary.

Elle arriva chez elle à la tombée de la nuit et lorsqu’elle passa le portail,

un nœud se forma au fond de sa gorge et elle fut prise de nausée.

Tous mes gestes étaient-ils simplement tournés vers ce sombre destin ? Peut-être pouvais-je… Non ! Ce sombre voile, qui me hante depuis le mariage, qui me noircit la vue depuis si longtemps, semble enfin s’être levé. Ce geste que je viens d’accomplir, est-il la preuve de ma force ou de ma faiblesse ? 

Qu’importe ! Ce qui est fait, est fait, et je n’ai aucun regret. Mais… je ne peux m’arrêter de penser à ce que je vais dire à Charles ! Et Berthe… 

Lentement, elle posa sa main sur la poignée de la porte.

Son souffle s'accéléra et sa vision se troubla.

Je ne suis point désolée de partir. Rien ne me manquera. Si seulement…

Elle s'évanouit.

 

Tag(s) : #madame bovary, #S4
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