Publié par Emma L.
Il se mit à marcher, sans penser, le journal à la main , le chapeau sur le côté, avec une envie d’arrêter les passants pour leur dire: "Achetez ça, achetez ça ! Il y a un article qui parle de moi." Il aurait voulu pouvoir crier de tous ses poumons, comme font certains hommes, le soir, sur les boulevards: "Lisez La Vie Française, lisez l'article de Georges Duroy: "Les souvenirs d'un chasseur d'Afrique !"
Louis Duchemin marchait dans la rue, le menton relevé, fier de sentir tous les regards braqués sur lui. Il venait d'acheter le journal dans lequel paraissait un article sur l'œuvre littéraire du moment : la sienne. Pour quitter son domicile ce matin-là, il avait soigneusement plaqué ses cheveux bruns sur le haut de son front. Il avait sorti sa plus belle chemise, celle qu'il ne porte que pour les grands événements. Il faut dire que ses revenus ne lui permettaient pas d'en avoir plusieurs. Il avait ciré sa paire de mocassins noirs pour laquelle il avait économisé des années durant. Son regard bleu se promenait sur les jolies passantes, habillées légèrement sous le soleil d'été. Elles portaient presque toutes des robes colorées avec des fleurs. Une légère brise venait lui caresser le visage. Il ne pouvait s’empêcher de sourire, sa femme allait être si fière de lui ! Lorsqu'il entra dans son appartement, il courut rejoindre sa femme, Marie, qui était assise dans le canapé à tricoter, les mains posées sur son ventre rond. Louis plongea ses yeux dans son regard noir et lui annonça la nouvelle. Leurs problèmes d'argent étaient peut-être enfin derrière eux ! Marie se leva d'un bond et sauta de joie. Louis la prit dans ses bras et lui caressa délicatement ses longs cheveux blonds ondulés. Après leur déjeuner, il dit à sa femme qu'il allait se promener pour trouver l'inspiration car "il ne comptait pas s’arrêter à un chef-d’œuvre !" Louis voulait devenir un grand auteur, riche et célèbre, vivre des jours heureux dans une belle et grande maison, entouré de sa femme et de ses enfants.
Il alla sonner chez Angéline, celle qui était sa maîtresse depuis plusieurs mois. Cette dernière s'approcha pour l'embrasser mais Louis la repoussa. "Je ne viens pas pour ça, j'ai besoin de ton aide". Le grand sourire de la jeune femme s'effaça. Elle l’invita tout de même à s'asseoir à son bureau. Il s'installa tranquillement, ce n'était pas comme s’il n'avait pas l'habitude de venir là. Il lui dit qu'il lui fallait de l'aide pour écrire la suite de son roman et qu'il ne pouvait le faire seul. Angéline leva un sourcil et lui demanda pourquoi il en était incapable. Louis lui répondit : "Je trouve tes idées très intéressantes, c'est pour cela que je m'en inspire". Le sourire d'Angéline revint alors sur son doux visage. Elle s'installa en face de Louis et lui donna ses idées. Ce dernier tapait assidûment à la machine à écrire. Il ne portait aucune attention aux longs regards que sa maîtresse lui lançait amoureusement. Il ne pensait qu'à avancer le plus possible son roman pour rentrer chez lui avec le sentiment du devoir accompli.
Il quitta le domicile d'Angéline vers 18h et rejoignit sa femme. Chaque jour, il retournait travailler des heures durant, copiant le verbe romanesque d’Angélique. Il ne portait aucune attention à sa maîtresse qui pourtant faisait beaucoup d'efforts pour se mettre en valeur. Quand le roman fut enfin terminé, Louis avait accumulé une grande fortune grâce à l'immense succès de ses livres. Il envoya une lettre pour expliquer à Angéline qu'ils ne se reverraient plus car il déménageait à la campagne. Les légèretés devaient cesser, il était homme du monde à présent, il mettait fin à leur relation.