Publié par Juliette M.

« — Ah ! voilà que ça commence ! murmura-t-elle.

— Que dis-tu ?

Elle roulait sa tête avec un geste doux plein d’angoisse, et tout en ouvrant continuellement les mâchoires, comme si elle eût porté sur sa langue quelque chose de très lourd. À huit heures, les vomissements reparurent. [...]

Alors, délicatement et presque en la caressant, il lui passa la main sur l’estomac. Elle jeta un cri aigu. Il se recula tout effrayé.

Puis elle se mit à geindre, faiblement d’abord. Un grand frisson lui secouait les épaules, et elle devenait plus pâle que le drap où s’enfonçaient ses doigts crispés. Son pouls inégal était presque insensible maintenant.

Des gouttes suintaient sur sa figure bleuâtre, qui semblait comme figée dans l’exhalaison d’une vapeur métallique. Ses dents claquaient, ses yeux agrandis regardaient vaguement autour d’elle, et à toutes les questions elle ne répondait qu’en hochant la tête ; même elle sourit deux ou trois fois. Peu à peu, ses gémissements furent plus forts. Un hurlement sourd lui échappa ; elle prétendit qu’elle allait mieux et qu’elle se lèverait tout à l’heure. [...]

Et elle lui passait la main dans les cheveux, lentement. La douceur de cette sensation surchargeait sa tristesse ; il sentait tout son être s’écrouler de désespoir à l’idée qu’il fallait la perdre, quand, au contraire, elle avouait pour lui plus d’amour que jamais ; et il ne trouvait rien ; il ne savait pas, il n’osait, l’urgence d’une résolution immédiate achevant de le bouleverser.

Elle en avait fini, songeait-elle, avec toutes les trahisons, les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient. Elle ne haïssait personne, maintenant ; une confusion de crépuscule s’abattait en sa pensée, et de tous les bruits de la terre Emma n’entendait plus que l’intermittente lamentation de ce pauvre cœur, douce et indistincte, comme le dernier écho d’une symphonie qui s’éloigne. »

Madame Bovary, Gustave Flaubert, pages 530-532

Ferdinand HODLER, Dying Valentine - 1915

Ferdinand HODLER, Dying Valentine - 1915

C'est donc ça la mort ? J'essaie de me libérer, de me laisser porter par la faucheuse qui m'attire et m'ouvre ses bras. Mais le goût amer dans ma gorge me ramène à cette triste réalité. Je suis là, étendue à l'agonie sur le lit. Plusieurs pensées me traversent l'esprit, Léon, Rodolphe puis Charles, mon mari, mon époux. Malgré tout c'est lui l'homme de ma vie, même si sa conversation est plate et ma vie avec lui ennuyeuse, il sera resté jusqu'au bout. Il m'aime, et je regrette de ne jamais avoir pu l'aimer en retour. Il a su m'offrir la vie de bourgeoise que je voulais et a tout fait pour me rendre heureuse. Je l'entends respirer près de moi, son souffle m'apaise. Si je pouvais parler, je lui dirais qu'il a été un bon mari, et je le remercierai pour tout ce qu'il a entrepris dans le seul but de me rendre heureuse. Mais je ne peux pas, de peur de vomir.

J'aurais pu faire tellement de choses dans cette vie. Et si je n'avais pas épousé Charles ? Et si je ne l'avais pas trompé ? D'ailleurs pourquoi l'ai-je fait ? Mes amants m'ont apporté du plaisir et de la passion, mais est-ce à cause de cette passion indomptable que je suis ici ? Parce que je n'ai pas su me retenir de chercher le bonheur dans le péché ? Je sens mon corps me faire mal. Et toutes ces questions se confondent. Une torture physique et morale à laquelle je m'attendais. Mais il est trop tard pour revenir en arrière. 

J'ai beau tourner et retourner ma vie dans tous les sens, je ne comprends pas comment j'en suis arrivée là. Surement l'argent. Il m'est monté à la tête jusqu'à complètement m'aveugler. Je suis ruinée, enfin, c'est plutôt Charles qui l'est. Pour moi l'argent n'est plus un problème. Mais qu'est-ce que je laisse à ma fille et mon mari? Ils vont se faire saisir tous les biens. J'imagine déjà la tête de tout Yonville fixant le veuf et sa fille obligés de déménager à cause de mes excès. 

Je ne vois plus rien, suis-je morte ? Non, c'est impossible j'entends encore Charles sangloter. J'ai l'impression de flotter, je sens une douleur m'envelopper, c'est comme si la mort me prenait dans le creux de ses bras pour me rassurer et me dire que tout se passera bien. Je laisse toutes mes angoisses, tous mes tracas, tous mes rêves et bien plus encore, je laisse ma famille. Ils s'en sortiront surement mieux sans moi. Je pars tête haute, comme les héroïnes de mes romans préférés, je pars dans la dignité. Je n'entends plus Charles, je ne sens même plus la douleur du poison.

C'est donc ça la mort ?

 

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