Publié par Jade B.  

             « Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler à la lingerie. Protégée par l’archevêché comme appartenant à une ancienne famille de gentilshommes ruinés sous la Révolution, elle mangeait au réfectoire à la table des bonnes sœurs, et faisait avec elles, après le repas, un petit bout de causette avant de remonter à son ouvrage. Souvent les pensionnaires s’échappaient de l’étude pour l’aller voir. Elle savait par cœur des chansons galantes du siècle passé, qu’elle chantait à demi-voix, tout en poussant son aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman qu’elle avait toujours dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-même avalait de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées s’évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. [...]

Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long corsage, qui, sous le trèfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, à regarder venir du fond de la campagne un cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir. [...]

C’était, derrière la balustrade d’un balcon, un jeune homme en court manteau qui serrait dans ses bras une jeune fille en robe blanche, portant une aumônière à sa ceinture ; ou bien les portraits anonymes des ladies anglaises à boucles blondes qui, sous leur chapeau de paille rond, vous regardent avec leurs grands yeux clairs. On en voyait d’étalées dans des voitures, glissant au milieu des parcs, où un lévrier sautait devant l’attelage que conduisaient au trot deux petits postillons en culotte blanche. D’autres, rêvant sur des sofas près d’un billet décacheté, contemplaient la lune, par la fenêtre entr’ouverte, à demi drapée d’un rideau noir. Les naïves, une larme sur la joue, becquetaient une tourterelle à travers les barreaux d’une cage gothique, ou, souriant la tête sur l’épaule, effeuillaient une marguerite de leurs doigts pointus, retroussés comme des souliers à la poulaine. Et vous y étiez aussi, sultans à longues pipes, pâmés sous des tonnelles, aux bras des bayadères, djiaours, sabres turcs, bonnets grecs, et vous surtout, paysages blafards des contrées dithyrambiques, qui souvent nous montrez à la fois des palmiers, des sapins, des tigres à droite, un lion à gauche, des minarets tartares à l’horizon, au premier plan des ruines romaines, puis des chameaux accroupis ; — le tout encadré d’une forêt vierge bien nettoyée, et avec un grand rayon de soleil perpendiculaire tremblotant dans l’eau, où se détachent en écorchures blanches, sur un fond d’acier gris, de loin en loin, des cygnes qui nagent. »

Madame Bovary - Gustave Flaubert, pages 56-63

© Sista Zozo & J.B

© Sista Zozo & J.B

Je suis allongée sur mon lit et réfléchis, je songe à l’homme parfait. Quand je sortirai de ce couvent, il arrivera comme une fleur, il me prendra avec lui et nous vivrons des aventures toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Dans mes pensées, il est beau, cheveux mi long et brun assez en bataille avec des bouclettes. Il est grand et musclé et s’inquiète pour moi. Je m’imagine déjà me balader avec lui sur son beau destrier noir, dans la forêt.

Je me retourne soudainement en entendant une porte claquée, c’est ma voisine de lit qui arrive et s’installe. Elle s’endort rapidement et je retourne dans mes pensées.

Aaah… le prince charmant, j’ai hâte de le voir. J’imagine une journée typique, nous nous réveillons tranquillement, les oiseaux chantent, le soleil se lève et il n’y a aucun nuage dans le ciel. On commence la journée par une balade matinale dans les jardins de notre manoir, une légère brise souffle dans ma nuque et je frissonne, il le voit et enroule son écharpe autour de mon cou. On continue notre marche jusqu’au petit bois, on rentre au manoir pour manger avant de prendre nos chevaux, lui le noir fougueux et moi le blanc affectueux et doux. Les chevaux à présent sellés, nous les montons et partons vers le bois, le chemin se fait dans le calme, mon homme me regarde de temps en temps en souriant. Tout à coup, un grognement se fait entendre derrière nous, c’est un chien, les babines retroussées, de la bave coulant aux côtés de sa gueule, il est prêt à attaquer. Mon amant descend de son cheval et attrape un bâton, il avance vers le chien tout en le menaçant du bout de bois. Le chien charge et je me cache les yeux de peur qu’il n’arrive quelque chose à mon amour. J’entrouvre les doigts doucement pour voir ce qu’il se passe. Le chien est allongé au sol et lui, il a le pied posé dessus. L’animal recule face à lui et finit par partir en courant, la queue entre les pattes. Je descends de mon fidèle destrier et lui saute dans les bras, fière de lui, je soupire de soulagement. On reprend notre chemin, chevauchant nos chevaux côte à côte, ceux-ci ayant leurs flancs collés, je tiens la main de mon homme. On s'arrête dans une plaine où le ciel est dégagé, nous nous allongeons là, mes pupilles alternent entre le ciel et ses propres yeux. Le couché de soleil est magnifique.

Je rouvre les yeux, je suis toujours dans ce lit au couvent, j’ai hâte de sortir d'ici, de voir le vrai monde, d'avoir une vraie vie avec un garçon extraordinaire. Je me lève de ce lit et en bouge une latte pour sortir un bouquin. Je sors dans le couloir assez sombre il est déjà tard. Je vais dans ma cachette, qui est en réalité une vieille salle abandonnée, et me remets à ma lecture du moment, un roman d'amour où la dame est malade mais que son prince charmant arrive à soigner. Ils se marient.

J'ai terminé mon roman, trop vite à mon goût, je lève les yeux vers la seule fenêtre que contient la salle, le soleil se lève déjà ! Je retourne discrètement à mon lit et me couche, je rêverai à nouveau bientôt de mon homme parfait cette nuit.

 

Tag(s) : #bovarysme, #madame bovary, #S4
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