Publié par Clara et Lisa J.-B.
« À trois pas d'Emma, un cavalier en habit bleu causait Italie avec une jeune femme pâle, portant une parure de perles. Ils vantaient la grosseur des piliers de Saint Pierre, Tivoli, le Vésuve, Castellamare et les Cassines, les roses de Gênes, le Colisée au clair de lune. Emma écoutait de son autre oreille une conversation pleine de mots qu'elle ne comprenait pas. On entourait un tout jeune homme qui avait battu, la semaine d'avant, Miss-Arabelle et Romulus, et gagné deux mille louis à sauter un fossé, en Angleterre. L'un se plaignait de ses coureurs qui engraissaient ; un autre, des fautes d'impression qui avaient dénaturé le nom de son cheval. L'air du bal était lourd ; les lampes pâlissaient. On refluait dans la salle de billard.
Un domestique monta sur une chaise et cassa deux vitres ; au bruit des éclats de verre, Madame Bovary tourna la tête et aperçut dans le jardin, contre les carreaux, des faces de paysans qui regardaient. Alors le souvenir des Bertaux lui arriva. Elle revit la ferme, la mare bourbeuse, son père en blouse sous les pommiers, et elle se revit elle-même, comme autrefois, écrémant avec son doigt les terrines de lait dans la laiterie. Mais, aux fulgurations de l'heure présente, sa vie passée, si nette jusqu'alors, s'évanouissait tout entière, et elle doutait presque de l'avoir vécue. Elle était là ; puis autour du bal, il n'y avait plus que de l'ombre, étalée sur tout le reste. Elle mangeait alors une glace au marasquin, qu'elle tenait de la main gauche dans une coquille de vermeil, et fermait à demi les yeux la cuiller entre les dents. »
Madame Bovary, Gustave Flaubert
Il est beau ce cavalier là-bas avec son bel habit bleu, ça doit coûter cher tout ça, il parle Italien avec cette jeune femme pâle qui doit être aussi riche que lui d’ailleurs, ça se voit au collier de perles dont elle est parée. Ils parlent de monuments que je n’ai jamais visités. Enfin bref, de l’autre côté, une autre conversation dont je ne comprends même pas la moitié, j’essaye de suivre, mais tout ça est compliqué. Tous ces nobles ont un langage si différent des bourgeois.
Et lui, un jeune homme qui a battu la semaine dernière « Miss-Arabelle », et « Romulus », apparemment connus dans le milieu de l'équitation, un truc de riches, parier sur des animaux, et puis quoi encore ? Ils parient beaucoup trop d'argent sur tout ça, deux milles louis c'est énorme ! Mais bon, j'aimerais quand même pouvoir le faire et je le pourrais bientôt, vu que je suis une aristocrate désormais... Je suis si belle ce soir, on pourrait le croire !
Charles ne fait que se plaindre pour des choses idiotes…
Il fait extrêmement chaud dans cette salle. Les feux sont si nombreux.
Mais que se passe-t-il, le domestique monte brutalement sur la chaise et casse deux vitres. Oh tiens, que vois-je par la fenêtre ? De malheureuses faces de paysans qui nous regardent d'un air envieux, mais personne n'y prête attention, à part quelques hommes en costume qui se moquent quelques secondes puis repartent tout aussi vite à leurs occupations idiotes.
En apercevant ce paysan, les souvenirs me reviennent... la ferme, la mare bourbeuse, mon père en blouse sous les pommiers. Je me revois comme autrefois, écrémant avec mon doigt les terrines de lait dans la laiterie.
Je reviens au présent ! Je me rends compte, je suis là. Autour du bal, il n’y a que de l’ombre. Mais quand même, qu’est-ce qu’elle est bonne cette glace au marasquin, elle est si savoureuse...