Publié par Marine F.

« Emma se sentit, en entrant, enveloppée par un air chaud, mélange du parfum des fleurs et du beau linge, du fumet des viandes et de l’odeur des truffes. Les bougies des candélabres allongeaient des flammes sur les cloches d’argent ; les cristaux à facettes, couverts d’une buée mate, se renvoyaient des rayons pâles ; des bouquets étaient en ligne sur toute la longueur de la table, et, dans les assiettes à large bordure, les serviettes, arrangées en manière de bonnet d’évêque, tenaient entre le bâillement de leurs deux plis chacune un petit pain de forme ovale. Les pattes rouges des homards dépassaient les plats ; de gros fruits dans des corbeilles à jour s’étageaient sur la mousse ; les cailles avaient leurs plumes, des fumées montaient ; et, en bas de soie, en culotte courte, en cravate blanche, en jabot, grave comme un juge, le maître d’hôtel, passant entre les épaules des convives les plats tout découpés, faisait d’un coup de sa cuiller sauter pour vous le morceau qu’on choisissait. Sur le grand poêle de porcelaine à baguette de cuivre, une statue de femme drapée jusqu’au menton regardait immobile la salle pleine de monde.

Mme Bovary remarqua que plusieurs dames n’avaient pas mis leurs gants dans leur verre.

Cependant, au haut bout de la table, seul parmi toutes ces femmes, courbé sur son assiette remplie, et la serviette nouée dans le dos comme un enfant, un vieillard mangeait, laissant tomber de sa bouche des gouttes de sauce. Il avait les yeux éraillés et portait une petite queue enroulée d’un ruban noir. C’était le beau-père du marquis, le vieux duc de Laverdière, l’ancien favori du comte d’Artois, dans le temps des parties de chasse au Vaudreuil, chez le marquis de Conflans, et qui avait été, disait-on, l’amant de la reine Marie-Antoinette entre MM. de Coigny et de Lauzun. Il avait mené une vie bruyante de débauches, pleine de duels, de paris, de femmes enlevées, avait dévoré sa fortune et effrayé toute sa famille. Un domestique, derrière sa chaise, lui nommait tout haut, dans l’oreille, les plats qu’il désignait du doigt en bégayant ; et sans cesse les yeux d’Emma revenaient d’eux-mêmes sur ce vieil homme à lèvres pendantes comme sur quelque chose d’extraordinaire et d’auguste. Il avait vécu à la Cour et couché dans le lit des reines ! »

Madame Bovary, Flaubert - Première partie, Chapitre 8

Emma contemple le bal © Marine F.

Emma contemple le bal © Marine F.

Quelle serait la meilleure manière de me comporter parmi tous ces gens ? Dois-je faire la révérence à chaque fois que l’on me salue ? Quelle sotte je suis… Je n’ai pas répété avant. Je vais rester naturelle et réservée. De toute façon, cela ne sert à rien d’engager une conversation sur des sujets que je ne maîtrise pas.

        Que je suis nerveuse ! J’ai tant à apprendre ! Leur langage, leur élégance, leurs manières… L’idée que je vais peut-être un jour être comme eux me fait sourire. J’aimerais tant pouvoir parler voyage, culture ou même littérature avec ces gens. Pendant ce temps, en voilà à ma gauche qui parlent des spectacles à venir. Ce serait un peu intrusif si j’osais me joindre à eux. Et s’ils décidaient de ne point m’accueillir ? Quelle ridicule je serais ! Écouter d’une oreille est plus convenable à mon avis. Cependant la dame à ma droite est extrêmement bruyante ! Elle attire l’attention de tout le monde autour d’elle. C’est agaçant ! Je ne peux plus entendre ce que disent les autres. Mais cette commère… Je crois l’avoir déjà vue quelque part. En attendant, ses tissus sont fâcheusement repassés. Mais je suis sûr que personne ne l'a remarqué : son immense couvre-chef occulte tout le reste. C’est assez ingénieux, il faut vraiment l'admettre. Les perles lui coulent sur le visage et sa parure prend tout son cou. Cette fois-ci, je trouve cela assez grossier. On a l’impression qu’elle essaie de se cacher derrière ses accoutrements, s’aidant de son éventail argenté paré de fines dorures aux extrémités.

        Cet éventail, je l’ai déjà remarqué entre les mains de plusieurs femmes. Est-ce une mode ici ? Je devrais peut-être m’en procurer un à l’avenir. Je demanderai à Charles de s’en occuper si je n’ai pas le temps.

        Que fait-il d’ailleurs lui ? Ah, le voilà ! Dans le même coin depuis deux heures avec les joueurs de cartes… Ils jouent au whist si je ne me trompe pas. Qu’il se tient mal… Je devrais peut-être aller le voir, lui dire qu’il faudrait qu’il arrête de se tenir comme ça… Et puis finalement qu’il reste comme il est. Tant qu’il ne se met pas à danser, tout va bien. S'il le fait, il nuira complètement à ma réputation. Quelle honte ce serait...

        Je reconnais que, sur ce point, je suis un peu injuste. Moi-même je ne sais pas valser. Mais quelle envie j’ai de me mêler à la danse que forment tous ces duos colorés. Se laisser bercer par la musique, entourée de toutes ces robes chatoyantes… J’en rêve : cela est digne d’un conte de fées…

        Que leurs mouvements sont gracieux, élégants, voire même fascinants. Les couples tournent sur eux-mêmes telles les aiguilles d'une montre battant le tempo de la musique. J’ai pu remarquer qu'après quelques tours, ils changent de sens. Sûrement pour éviter l’étourdissement.

        Je rêverais que l’un de ces hommes vienne m’inviter à danser…
 

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