Publié par Caroline et Cassandra

« À trois heures du matin, le cotillon commença. Emma ne savait pas valser. Tout le monde valsait, Mlle d’Andervilliers elle-même et la marquise ; il n’y avait plus que les hôtes du château, une douzaine de personnes à peu près.

Cependant, un des valseurs, qu’on appelait familièrement vicomte, et dont le gilet très ouvert semblait moulé sur la poitrine, vint une seconde fois encore inviter Mme Bovary, l’assurant qu’il la guiderait et qu’elle s’en tirerait bien.

Ils commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient : tout tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet, comme un disque sur un pivot. En passant auprès des portes, la robe d’Emma, par le bas, s’ériflait au pantalon ; leurs jambes entraient l’une dans l’autre ; il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une torpeur la prenait, elle s’arrêta. Ils repartirent ; et, d’un mouvement plus rapide, le vicomte, l’entraînant, disparut avec elle jusqu’au bout de la galerie, où, haletante, elle faillit tomber, et, un instant, s’appuya la tête sur sa poitrine. Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit à sa place ; elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux.

Quand elle les rouvrit, au milieu du salon, une dame assise sur un tabouret avait devant elle trois valseurs agenouillés. Elle choisit le vicomte, et le violon recommença.

On les regardait. Ils passaient et revenaient, elle immobile du corps et le menton baissé, et lui toujours dans sa même pose, la taille cambrée, le coude arrondi, la bouche en avant. Elle savait valser, celle-là ! Ils continuèrent longtemps et fatiguèrent tous les autres.

On causa quelques minutes encore et, après les adieux ou plutôt le bonjour, les hôtes du château s’allèrent coucher.

Charles se traînait à la rampe, les genoux lui rentraient dans le corps. Il avait passé cinq heures de suite, tout debout devant les tables, à regarder jouer au whist sans y rien comprendre. Aussi poussa-t-il un grand soupir de satisfaction lorsqu’il eut retiré ses bottes.

Emma mit un châle sur ses épaules, ouvrit la fenêtre et s’accouda.

La nuit était noire. Quelques gouttes de pluie tombaient. Elle aspira le vent humide qui lui rafraîchissait les paupières. La musique du bal bourdonnait encore à ses oreilles, et elle faisait des efforts pour se tenir éveillée, afin de prolonger l’illusion de cette vie luxueuse qu’il lui faudrait tout à l’heure abandonner. »

Madame BOVARY, Gustave Flaubert, 1857 - Chapitre 8, partie I

Emma Bovary dégustant la glace aux marasquins © C & C

Emma Bovary dégustant la glace aux marasquins © C & C

           Je suis devant le château où se déroule le bal, tout est très grand et moderne. En bas, se trouve une immense pelouse et quelques vaches.

Le boc de Charles s’arrête devant le perron, j'aurais préféré venir toute seule au bal. Quelques domestiques se dirigent vers nous pour nous saluer. Le marquis lui-même m’offre son bras, il me fait entrer dans le vestibule. Tout est tellement beau et grand, le bruit des pas sur le sol en marbre retentit comme dans une église. À gauche, une galerie ouvre sur le jardin qui mène à une porte, je suppose que c’est la salle de billard, car j’entends des bruits de boules de billard. J’entre dans la salle et un homme, à côté de la table me sourit légèrement, des portraits magnifiques sont accrochés au mur.

Le marquis ouvre la porte du salon, sa femme, la marquise se lève et s’assoit à côté de moi, on discute un peu mais elle est d'un ennui… Elle a la quarantaine environ, de belles épaules, un nez bossu et la voix traînante, très désagréable d'ailleurs. Une femme blonde se tient à côté de nous, des hommes causent avec quelques dames, j’ai hâte que le bal commence enfin !

        Il est sept heures, on passe au dîner les hommes sont sur la première table et les dames sur la seconde, j'aurais préféré être en compagnie d'un bel homme. Le repas est très appétissant. Quelques invités montent dans leur chambre s’apprêter pour le bal, je monte aussi pour faire ma toilette et me coiffer les cheveux comme le coiffeur me l’a recommandé puis j’enfile ma robe de bal. Charles n’a pas fait d‘effort pour se vêtir correctement, son pantalon est trop court et on voit ses chevilles, il est vraiment ridicule !

Charles me demande si pendant le bal j’irais danser, j’ai honte de danser avec lui, je lui dis comme excuse qu’il a perdu la tête, que tout le monde se moquerait de lui et qu’il devrait rester à sa place car c’est plus convenable pour un médecin. D'où a-t-il sorti cette idée ! Je finis de me préparer, Charles s’approche et m’embrasse l’épaule. Ça m’a beaucoup surprise, je n’aime pas l’attention que me portes Charles, je le repousse, qu'est-ce qu'il m'agace… Je suis pressée de pouvoir aller danser. Nous descendons l’escalier, je vois que les quadrilles de contredanse ont déjà commencé, alors je m’installe près d’une porte sur la banquette.

Toutes les femmes portent des robes, des gants assorties, des broches de diamants. Leurs chevelures sont bien collées sur leur front et tordues à la nuque.

Oh comme j’aimerais leur ressembler, elles sont si belles !  Un cavalier me prend par la main pour aller danser, j’ai le cœur qui palpite, je ne m’y attendais vraiment pas. Pendant la danse, il me fait tournoyer, je glisse en avant avec de légers mouvements de cou ; j'ai presque la tête qui tourne. Je n’ai pas l’habitude de danser ainsi mais ça me plaît énormément, je me sens légère. Ce n’est sûrement pas avec Charles que je danserais ainsi, il n'est ni beau ni gracieux et je suis presque sûre qu'il ne sait pas danser.

Je remarque dans la salle quelques hommes entre la vingtaine et la quarantaine. Leurs habits ont l’air si léger et leurs cheveux, ramenés en boucle vers les tempes, ont l'air si doux. Ils ont le teint aussi blanc que de la porcelaine. Si seulement Charles pouvait être aussi beau et riche.

Je vois un cavalier en habit bleu à quelques pas de moi, il parle avec une jeune femme pâle qui porte une magnifique parure de perles, Je ne me sens pas à ma place, je n’ai pas de perles comme elle ni son teint aussi pâle. Ils discutent Italie je crois, quel magnifique pays l’Italie. Oh j’aimerais tant pouvoir y aller ! Pouvoir visiter tous ces beaux lieux, jamais je ne verrais le Vésuve ni le Colisée au clair de lune. De mon autre oreille, j’entends des bribes de conversations sans en saisir le sens. Beaucoup de monde sont autour de ce jeune homme, ils disent qu’il a battu Miss-Arabelle et Romulus en Angleterre, qui sont-ils ? L’Angleterre, ça a l’air tellement beau, je rêverais d’y aller, mais c’est impossible Charles ne voudra pas.

J’entends un bruit d’éclats de verre, je tourne vivement ma tête pour voir ce qui se passe et je vois plusieurs paysans regardant la salle de bal à travers la vitre brisée. Le souvenir des Bertaux me revient. Mes souvenirs restent aussi fugaces et lointains que les paysans derrière la vitre. Je me remets les idées en place… Je déguste cette glace au marasquin, je la tiens de la main gauche dans une coquille de vermeil. Je n’ai jamais ressenti une sensation pareille sur ma langue, je n’ai jamais mangé quelque chose d’aussi frais. Elle fond sous ma langue.

Après le souper, je remarque que la salle se vide petit à petit. Je suis déjà nostalgique à l’idée que la soirée prenne fin.  Charles roupille à demi le dos appuyé contre une porte.

Il est trois heures du matin, le cotillon commence. Je suis inquiète car je n’ai jamais appris à valser, au couvent on n’apprenait pas ce genre de choses. Je regarde tout le monde valser par peur d’y aller. Il y a une douzaine de personnes à peu près. Tout à coup, un des valseurs, dont le gilet est très ouvert et collé, s’approche de moi. Je le reconnais, il m’avait déjà proposé de danser plus tôt dans la soirée, il me tend sa main en m’assurant qu’il me guidera. On commence à valser doucement, puis nous tournons de plus en plus vite jusqu’à ce que nos jambes se cognent, je m’arrête brusquement car je suis toute engourdie. Mais nous reprenons aussitôt. C'est tellement amusant.

Les danses se terminent, on cause encore quelques minutes avant de dire les adieux. Les hôtes du château montent se coucher, je vais chercher Charles qui a passé 5heures devant les tables, à m’attendre. Nous montons dans notre chambre pour nous coucher. Le bal c’est passé encore mieux que ce que j’avais pu imaginer. J’ai hâte au bal de l’année prochaine, j’espère revenir. Est-ce qu'il y a d'autres bals durant l'année ? Il faut que je me renseigne auprès de Monsieur Lheureux. J'en profiterai pour acheter une parure similaire à celle que j'ai vue aujourd'hui.

 

Tag(s) : #madame bovary, #S4
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