Publié par Alexandre et Mathis
« Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu’un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d’aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l’occasion, la hardiesse.
Si Charles l’avait voulu cependant, s’il s’en fût douté, si son regard, une seule fois, fût venu à la rencontre de sa pensée, il lui semblait qu’une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d’un espalier, quand on y porte la main. Mais, à mesure que se serrait davantage l’intimité de leur vie, un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui.
Quand elle eut ainsi un peu battu le briquet sur son cœur sans en faire jaillir une étincelle, incapable, du reste, de comprendre ce qu’elle n’éprouvait pas, comme de croire à tout ce qui ne se manifestait point par des formes convenues, elle se persuada sans peine que la passion de Charles n’avait plus rien d’exorbitant. Ses expansions étaient devenues régulières ; il l’embrassait à de certaines heures. C’était une habitude parmi les autres, et comme un dessert prévu d’avance, après la monotonie du dîner.
— Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariée ?
Elle se demandait s’il n’y aurait pas eu moyen, par d’autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu’elle ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu’ils étaient sans doute, ceux qu’avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant ? À la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et les clartés du bal, elles avaient des existences où le cœur se dilate, où les sens s’épanouissent. Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l’ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur. Elle se rappelait les jours de distribution de prix, où elle montait sur l’estrade pour aller chercher ses petites couronnes. Avec ses cheveux en tresse, sa robe blanche et ses souliers de prunelle découverts, elle avait une façon gentille et les messieurs, quand elle regagnait sa place, se penchaient pour lui faire des compliments ; la cour était pleine de calèches, on lui disait adieu par les portières, le maître de musique passait en saluant, avec sa boîte à violon. Comme c’était loin, tout cela ! comme c’était loin ! »
Madame Bovary, Flaubert- Première partie, Chapitre 7
Je m'ennuie, la vie monotone que j'ai me remplit de dégoût, elle me répugne, je croupis dans ce village alors que je pourrais être en train de me balader dans Paris.
Ah ! ça t'apprendra, ma chère à t’unir à un médecin de campagne. Je pensais que ce mariage serait la renaissance de l’exaltation de ma jeunesse, que ce sentiment puissant qu'est l'amour me transporterait comme dans les ouvrages que j'ai tant admirés au couvent, mais ce n'était qu’illusion. Ah ! Je suis lasse, pourquoi me suis-je mariée ?
Je pense souvent au bal de la Vaubyessard, oh oui le bal, ce bal où nous avions été conviés, j'y pense, il fait partie de mes songes. Là où tout scintillait, n'était que lumière, dorures, moulures. J'aurais tant voulu y rester ! Mais non, je suis là à Tostes, village de déceptions ! Ici-bas il n'y a ni moulure, ni dorure de coquille de vermeil, où l'on pourrait déguster une glace. D'ailleurs, il n'y a aucune glace.
Quand je dansais, avec toutes ces personnes élégantes et soignées, la médiocrité de mon quotidien disparaissait. Mais ce ne fut qu'un bref instant de bonheur, le retour à la réalité de Tostes m'a rendu toute confuse. Tout était d'une splendeur… ! Pourquoi n'avons-nous pas fêté notre mariage dans un lieu avec autant de prestance que le château du vicomte ? Le vicomte, j'y repense, il était si gracieux, si distingué et bien apprêté. Il se démarque toujours positivement dans ce qu'il entreprend. C'est l'opposé de Charles, si terne autour de ces gens rayonnants qui dansaient au bal !
Charles est incompétent, médiocre, innocent, somnolent, distrait, il est étranger à ce qui l'entoure, c'est une personne terne. Il ne se démarque pas des autres quand il fait quelque chose, il n'est pas le meilleur médecin ni le meilleur conjoint.
Nos conversations sont plates, il n'a aucune conviction, ne veut rien, ne sait rien. Mais un homme ne devrait-il pas au contraire tout connaître ? Lui ne sait pas nager, ni faire des armes, ni m'expliquer un terme d'équitation que j'ai découvert dans un roman. Il est ignorant, incapable de voir mon malheur. Et puis il porte des vêtements si laids. Il a un train de vie des plus banals, et se contente de cela ! Mais moi ce n'est point ce que je veux ! Ah cette vie, quel collier de perles de déceptions !