Publié par Corentine et Adèle
« Une jeune femme, en robe de mérinos bleu garnie de trois volants, vint sur le seuil de la maison pour recevoir M. Bovary, qu’elle fit entrer dans la cuisine, où flambait un grand feu. Le déjeuner des gens bouillonnait alentour, dans des petits pots de taille inégale. Des vêtements humides séchaient dans l’intérieur de la cheminée. La pelle, les pincettes et le bec du soufflet, tous de proportion colossale, brillaient comme de l’acier poli, tandis que le long des murs s’étendait une abondante batterie de cuisine, où miroitait inégalement la flamme claire du foyer, jointe aux premières lueurs du soleil arrivant par les carreaux.
Charles monta, au premier, voir le malade. Il le trouva dans son lit, suant sous ses couvertures et ayant rejeté bien loin son bonnet de coton. C’était un gros petit homme de cinquante ans, à la peau blanche, à l’œil bleu, chauve sur le devant de la tête, et qui portait des boucles d’oreilles. Il avait à ses côtés, sur une chaise, une grande carafe d’eau-de-vie, dont il se versait de temps à autre pour se donner du cœur au ventre ; mais, dès qu’il vit le médecin, son exaltation tomba, et, au lieu de sacrer comme il faisait depuis douze heures, il se prit à geindre faiblement.
La fracture était simple, sans complication d’aucune espèce. Charles n’eût osé en souhaiter de plus facile. Alors, se rappelant les allures de ses maîtres auprès du lit des blessés, il réconforta le patient avec toutes sortes de bons mots, caresses chirurgicales qui sont comme l’huile dont on graisse les bistouris. Afin d’avoir des attelles, on alla chercher, sous la charretterie, un paquet de lattes. Charles en choisit une, la coupa en morceaux et la polit avec un éclat de vitre, tandis que la servante déchirait des draps pour faire des bandes, et que Mlle Emma tâchait à coudre des coussinets. Comme elle fut longtemps avant de trouver son étui, son père s’impatienta ; elle ne répondit rien ; mais tout en cousant, elle se piquait les doigts, qu’elle portait ensuite à sa bouche pour les sucer. »
Madame Bovary, Flaubert - Première partie, Chapitre 2
Ma chère Emma,
Voilà maintenant un bon moment que je vous connais, souvenez-vous de ce jour où nous nous sommes rencontrés, quand je vins aux Bertaux la première fois, pour soigner monsieur votre père de sa fracture à la jambe. Je vis au loin une jeune femme, en robe mérinos bleu garnie de trois volants. Dès le premier regard, j’ai ressenti un je ne sais quoi que je ne pus contrôler, je n’avais d’yeux que pour vous.
Ce qui m’éblouit dès le premier instant, ce fut vos yeux, quoi qu’ils fussent bruns, ils semblaient noirs à cause de vos cils, puis votre regard arrivait à moi avec une hardiesse candide. Vos cheveux, dont les deux bandeaux noirs semblaient chacun d’un seul morceau, étaient séparés sur le milieu de votre tête par une raie fine.
J’étais tellement impatient de vous revoir, qu’au lieu de revenir au Bertaux trois jours après comme je l’avais promis, c’est le lendemain même que j’y retournai, puis deux fois la semaine régulièrement, sans compter les visites inattendues. J’aimais le fait que vous me raccompagniez toujours jusqu’à la première marche du perron.
Maintenant, j’aimerais pouvoir apprendre à vous connaître davantage, en nous baladant une après-midi en discutant de vos rêves, de vos incertitudes concernant l’avenir… Depuis le jour où j’ai fait votre connaissance, j’ai beaucoup réfléchi sur ce que je pouvais ressentir. Après de longues réflexions, je peux maintenant vous avouez que vous m’avez aidé à faire le deuil de ma femme. Toutes les douleurs du passé ont maintenant disparu. Je voudrais maintenant, ma chère Emma, que vous deveniez Emma Bovary. Si vous acceptiez ma demande, j’aimerais que notre histoire ressemble à celles des romans d’amour dont vous m’avez parlé et qui m’ont fort intéressé, un amour vrai, sincère et éternel. Je voudrais vous passer la bague au doigt, avoir des enfants avec, des petits Bovary.
Avec toutes mes respectueuses salutations, Charles Bovary.