Publié par Erell et Faustine
« Comme ma pauvre femme aurait été heureuse ! » [...]
« Charles n’était pas de ceux qui descendent au fond des choses ; il recula devant les preuves, et sa jalousie incertaine se perdit dans l’immensité de son chagrin.
On avait dû, pensait-il, l’adorer. Tous les hommes, à coup sûr, l’avaient convoitée. Elle lui en parut plus belle ; et il en conçut un désir permanent, furieux, qui enflammait son désespoir et qui n’avait pas de limites, parce qu’il était maintenant irréalisable. » [...]
« Il souffrait, le pauvre homme » [...]
« Une chose étrange, c’est que Bovary, tout en pensant à Emma continuellement, l’oubliait ; et il se désespérait à sentir cette image lui échapper de la mémoire au milieu des efforts qu’il faisait pour la retenir. Chaque nuit pourtant, il la rêvait ; c’était toujours le même rêve : il s’approchait d’elle ; mais, quand il venait à l’étreindre, elle tombait en pourriture dans ses bras. » [...]
« Accoudé en face de lui, il mâchait son cigare tout en causant, et Charles se perdait en rêveries devant cette figure qu’elle avait aimée. Il lui semblait revoir quelque chose d’elle. C’était un émerveillement. Il aurait voulu être cet homme. »
Mme Bovary, Gustave Flaubert
Troisième partie, chapitre 11, lignes 36/50-56/69/158-163/248-251
Ma très chère Emma,
Ma défunte épouse, si tu savais comme je t’aime, comme je regrette de t’avoir déçue.
Ton visage me hante, chaque nuit je me vois dans tes bras, t'embrasser tendrement, mais la réalité me rattrape et tu t’effondres devant moi. Déboussolé, je me perds dans ton souvenir. Je nous revois le jour où nous nous sommes rencontrés, je soignais ton père, sans lui nous ne nous serions jamais trouvés, tu étais si jeune mais déjà tellement attentionnée. Depuis ce jour, nos regards ne se sont jamais quittés.
Je suis désolé que cet amour que j’ai éprouvé pour toi m’ait rendu aussi aveugle. J’ai pensé, au début, que tes adultères avec Léon et Rodolphe n’étaient que des amours platoniques, sans importance, mais non, Léon et Rodolphe ont su te combler, contrairement à moi.
J’ai rencontré un de ceux que tu as aimés, Rodolphe, et j’ai vu une part de toi dans son visage. Je ne lui en veux pas, toi non plus je ne t'en veux plus. Lorsque je suis tombé sur ces lettres, je t'en ai voulu, je n'ai pas compris, pourquoi tu es allée voir ailleurs alors que je t'avais offert une vie que beaucoup de femmes désirent, un mariage, un logement, un enfant... Puis j'ai compris, il manquait de l'amour, réciproque, tu t'ennuyais, je ne le savais pas car tu me le cachais, si tu m'avais parlé de ton malheur, nous aurions pu trouver des solutions pour que tu retrouves ton si beau sourire.
Moi je t'ai aimée, je t'ai trop aimée pendant que toi tu te lassais de notre relation qui avait pourtant si bien démarré. Toi qui étais si belle, grâce à ces hommes j’ai compris à quel point ta beauté rayonnait aux yeux de tous et à quel point les hommes te désiraient. Je n'ai pas été à la hauteur, tu méritais tellement mieux, je m'en veux et je m'en voudrais jusqu'à la fin...
Maintenant que tu m’as quitté, j’aimerais te rejoindre pour tout recommencer et nous nous aimerions au-delà de la mort comme nous ne nous sommes jamais aimés. Mes désirs constants pour toi sont intenses, je suis prêt à m’endetter davantage pour conserver tous tes souvenirs dans notre maison, le lit où nous dormions, les meubles où sont encore rangées tes affaires, le fauteuil que tu aimais tellement pour lire tes romances préférées, l'odeur de ton parfum embaume encore la maison. Je veux que tu sois heureuse là où tu es, je sublimerai ta tombe avec tes fleurs préférées.
J’ai envisagé plus d’une fois la corde pour partir te retrouver, t’embrasser, te prendre dans mes bras et baiser ta main… Mais Berthe, mon unique raison de rester en vie encore aujourd'hui, me retient à chaque tentative avant un drame supplémentaire.
Je suis tellement désespéré de voir la gaieté de notre enfant s'envoler au fil des jours. Je te reconnais en Berthe, cette pauvre enfant, si jeune, qui a tant besoin de sa mère…
Je t’aime, pardonne-moi,
Charles