Publié par Eloi et Jules

« Le soir, en s’en retournant, Charles reprit une à une les phrases qu’elle avait dites, tâchant de se les rappeler, d’en compléter le sens, afin de se faire la portion d’existence qu’elle avait vécu dans le temps qu’il ne la connaissait pas encore. Mais jamais il ne put la voir, en sa pensée, différemment qu’il ne l’avait vue la première fois, ou telle qu’il venait de la quitter tout à l’heure. Puis il se demanda ce qu’elle deviendrait, si elle se marierait, et à qui ? hélas ! le père Rouault était bien riche, et elle !… si belle ! Mais la figure d’Emma revenait toujours se placer devant ses yeux, et quelque chose de monotone comme le ronflement d’une toupie bourdonnait à ses oreilles : « Si tu te mariais, pourtant ! si tu te mariais ! » La nuit, il ne dormit pas, sa gorge était serrée, il avait soif ; il se leva pour aller boire à son pot à l’eau et il ouvrit la fenêtre ; le ciel était couvert d’étoiles, un vent chaud passait, au loin des chiens aboyaient. Il tourna la tête du côté des Bertaux.

Pensant qu’après tout l’on ne risquait rien, Charles se promit de faire la demande quand l’occasion s’en offrirait ; mais, chaque fois qu’elle s’offrit, la peur de ne point trouver les mots convenables lui collait les lèvres. »

Madame Bovary, Flaubert - Première partie, Chapitre 3

La lettre de Charles destinée à Emma © Eloi

La lettre de Charles destinée à Emma © Eloi

Mademoiselle Emma,

J’éprouve une grande peine et une grande joie à écrire cette lettre après le décès de feu mon épouse. Elle est morte tragiquement, ce furent les instants les plus pénibles de ma vie, or cela me fait ressentir un soulagement. Cela faisait plusieurs mois que je m’inquiétais pour elle, mais maintenant c’est terminé.  

Malgré la peine que je ressens, j’arrive enfin à accepter. Depuis que nous nous sommes vus pour la première fois, je ressens pour vous d'étranges sentiments qui ne me sont point familiers : un sentiment de légèreté quand je vous vois, et d'impatience.

De l'impatience quant au prochain rendez-vous hebdomadaire chez votre père car les visites chez Monsieur Rouault cela me remonte, tant bien que mal, le moral. Votre compagnie m’est bien agréable.

Je pense que je devrais pratiquer certaines activités que j’apprécie fortement et qui seront sans aucun doute encore meilleures avec vous pour les égayer. Cela nous permettrait de tisser des liens qui nous seront utiles pour l'avenir, alors vous pourriez peut-être me parler de vos passions pendant que l'on se baladerait, ou lorsque nous nous reposerions chez votre père.

Trouverez-vous ces mots bien très abrupts ? Oui, sans doute, mais je ne peux m'empêcher d'exprimer le fait que je vous apprécie, pourtant je ne vous connais que très peu mais ce que j'ai appris de toutes les visites de courtoisie à la ferme, c'est que vous êtes une personne timide, certes, mais gentille. Et quand je n'entends plus votre voix cela me laisse pantois quant à l'idée d'attendre ces sept journées avant que je puisse vous retrouver. C'est pourquoi je veux, non j'aimerais vous dire qu'après toutes ces journées passées ensemble à parler, gambader, rire, j'ai compris que je n'aurais plus jamais à rester seul.

        Emma voulez-vous épouser la modeste personne que je suis ? J'attends avec impatience votre lettre de retour, quelle que soit votre réponse j'espère que cela n'entachera pas notre amitié.


Bien à vous

Votre très dévoué,

Charles Bovary

 

Tag(s) : #madame bovary, #S4
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