Publié par Clément LG

Madame de Rênal répondit avec une indignation réelle, et nullement exagérée, à l’annonce impertinente que Julien osait lui faire. Il crut voir du mépris dans sa courte réponse.

Il est sûr que dans cette réponse, prononcée fort bas, le mot fi donc avait paru. Sous prétexte de quelque chose à dire aux enfants, Julien alla dans leur chambre, et à son retour il se plaça à côté de madame Derville et fort loin de madame de Rênal.

Il s’ôta ainsi toute possibilité de lui prendre la main.La conversation fut sérieuse, et Julien s’en tira fort bien, à quelques moments de silence près, pendant lesquels il se creusait la cervelle.

Que ne puis-je inventer quelque belle manœuvre, se disait-il, pour forcer madame de Rênal à me rendre ces marques de tendresse non équivoques qui me faisaient croire il y a trois jours qu’elle était à moi !

Julien était extrêmement déconcerté de l’état presque désespéré où il avait mis ses affaires. Rien cependant ne l’eût plus embarrassé que le succès.

Lorsqu’on se sépara à minuit, son pessimisme lui fit croire qu’il jouissait du mépris de madame Derville, et que probablement il n’était guère mieux avec madame de Rênal.

De fort mauvaise humeur et très humilié, Julien ne dormit point. Il était à mille lieues de l’idée de renoncer à toute feinte, à tout projet, et de vivre au jour le jour avec madame de Rênal, en se contentant comme un enfant du bonheur qu’apporterait chaque journée.

Il se fatigua le cerveau à inventer des manœuvres savantes, un instant après il les trouvait absurdes ; il était en un mot fort malheureux quand deux heures sonnèrent à l’horloge du château.

Ce bruit le réveilla comme le chant du coq réveilla saint Pierre. Il se vit au moment de l’évènement le plus pénible. Il n’avait plus songé à sa proposition impertinente, depuis le moment où il l’avait faite ; elle avait été si mal reçue !

Le Rouge et le Noir, Chapitre XV, p.104, Stendhal

© CLG

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            « Il est deux heures, me voilà contraint de faire un choix... 

Aurais-je le courage d'aller la rejoindre dans sa chambre malgré l'humiliation que j'ai subie tout à l'heure ? Ou vais-je me comporter comme un moins que rien qui échoue aux premiers obstacles ? Que ferait l'Empereur à ma place ? Il est clair que face à un obstacle il prendrait son épée et irait se battre coûte que coûte malgré les risques encourus. La vraie question est que pense-t-elle de moi ?  

Cette femme est tellement étrange. Lors de nos nombreuses promenades, elle semblait se mettre en danger avec moi et ne semblait pas jouer avec mes sentiments. L'autre soir, dans le jardin, j'ai même pu baiser sa main à plusieurs reprises et pourtant ce soir elle a très clairement refusé mes avances. Cela m'a énormément touché, moi qui pensais qu'elle éprouvait déjà des sentiments à mon égard.

Peut-être que depuis le début je me trompe sur toute la ligne ! Elle doit sans doute me mépriser car après tout, je ne suis qu'un fils de charpentier devenu précepteur de ses enfants et s'amuser de mes avances avec Mme de Derville. Elle doit penser que je ne suis pas digne d'elle, digne de son amour. 

Me voilà donc face à un grand dilemme, et je ne peux pas savoir ce qu'elle pense de moi ! Elle a peut-être refusé mes avances car elle avait peur de tromper son mari et maintenant elle n'attend qu'une chose : que j'aille la rejoindre dans sa chambre ou peut-être qu'elle a refusé pour toutes les choses que je me suis déjà dites. 

Finalement qu'est-ce que je risque, Si cela se passe bien, elle va accepter que je la rejoigne et je vais passer de très bons moments. Si cela se passe mal, je vais me faire renvoyer de chez les Rênal et je serai la risée de Verrières. J'aurais finalement tout perdu. 

Je ne peux pas me comporter comme un lâche. Si je n'ai pas le cran de la rejoindre, cela voudrait dire que je ne suis pas digne de son amour et, cela, jamais je ne pourrais me le pardonner. Je vais me comporter comme l'Empereur se serait comporté, c'est-à-dire comme un être fort. Mon choix est fait : je vais la rejoindre malgré les risques que j'encours. Si je ne le fais pas, elle aura honte de moi et j'aurai honte de moi-même. Il est clair que je n'aurai pas deux occasions comme celle-ci.

 

Tag(s) : #le rouge et le noir, #1G7
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