Publié par Nathan

— Je ne veux pas être domestique.

— Animal, qui te parle d’être domestique ? est-ce que je voudrais que mon fils fût domestique ?

— Mais, avec qui mangerai-je ?

Cette demande déconcerta le vieux Sorel, il sentit qu’en parlant, il pourrait commettre quelque imprudence ; il s’emporta contre Julien, qu’il accabla d’injures, en l’accusant de gourmandise, et le quitta pour aller consulter ses autres fils.

Julien les vit bientôt après, chacun appuyé sur sa hache et tenant conseil. Après les avoir longtemps regardés, Julien, voyant qu’il ne pouvait rien deviner, alla se placer de l’autre côté de la scie, pour éviter d’être surpris. Il voulait penser à cette annonce imprévue qui changeait son sort, mais il se sentit incapable de prudence ; son imagination était tout entière à se figurer ce qu’il verrait dans la belle maison de M. de Rênal.

Il faut renoncer à tout cela, se dit-il, plutôt que de se laisser réduire à manger avec les domestiques. Mon père voudra m’y forcer ; plutôt mourir. J’ai quinze francs huit sous d’économies, je me sauve cette nuit ; en deux jours, par des chemins de traverse où je ne crains nul gendarme, je suis à Besançon ; là je m’engage comme soldat, et, s’il le faut, je passe en Suisse. Mais alors plus d’avancement, plus de ce bel état de prêtre qui mène à tout.

Le Rouge et le Noir, Stendhal / Partie I, chapitre V, p.28

 

© NL

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         Travailler en tant que simple sous-main, bon qu'à servir les moindres désirs de son seigneur, m'est insoutenable. Alors comment faire ? je ne puis me soustraire à ma famille, une famille d’ouvrier de peu d'ambition, qui n’a eu de cesse de me nuire depuis mes premières pensées.  

Les projets avides de mon père sont dénués de tout cœur, alors il me faut soit oublier mes rêves épiques et fuir ma famille, ou me réduire à la position de sous-homme de quelqu’un. Pourrai-je tolérer rien que l’idée d’être traité tel un domestique, qui écarté de ses patrons, mène une vie de paria social, allant manger entre eux, car pas à la hauteur de leurs maîtres ? Non, pas moi. Pourtant, je ne peux me soustraire à l'idée que ce choix est une preuve de ma lâcheté.

C’est à raison, car la fuite est ma première option, ou je retranche mes ambitions en devenant soldat. Cependant dans la seconde je rétrograde ma place sociale, bien qu’elle soit déjà très basse, mais par ce choix j’affronte l’inconnu, bravant le danger comme l’aurait fait et l’illustre Bonaparte.

Choisir entre mon ego et mes rêves d’aventures m’est difficile, aussi vivre dans la belle maison des Rênal ne me rebute pas, peut être aurais-je même plus de temps pour me concentrer sur ma lecture, et le salaire me permettrait sûrement de me procurer à nouveau le Mémorial de Sainte-Hélène. De plus, fréquenter des bourgeois me donnerait l'occasion de m’approprier leurs normes, une porte pour un nouveau monde qui m’est encore inconnu. Alors je la franchirais, cela m'abaisserait peut-être pour les autres, mais je ne tolérerai aucune insulte de quelque sorte, je conserverai à tout prix mon honneur.

 

Tag(s) : #le rouge et le noir, #1G7
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