Publié par Raphaël
« Quand il eut vu clair dans son âme, et que la vérité parut devant ses yeux aussi nettement qu’un des piliers de sa prison, il pensa au remords.
– Pourquoi en aurais-je ? J’ai été offensé d’une manière atroce. J’ai tué, je mérite la mort, mais voilà tout. Je meurs après avoir soldé mon compte envers l’humanité. Je ne laisse aucune obligation non remplie, je ne dois rien à personne ; ma mort n’a rien de honteux que l’instrument : cela seul, il est vrai, suffit richement pour ma honte aux yeux des bourgeois de Verrières ; mais sous le rapport intellectuel, quoi de plus méprisable ! Il me reste un moyen d’être considérable à leurs yeux : c’est de jeter au peuple des pièces d’or en allant au supplice. Ma mémoire, liée à l’idée de l’or, sera resplendissante pour eux. […]
Seulement alors, Julien commença à se repentir du crime commis. Par une coïncidence qui lui évita le désespoir, en cet instant seulement, venait de cesser l’état d’irritation physique et de demi-folie où il était plongé depuis son départ de Paris pour Verrières. Ses larmes avaient une source généreuse, il n’avait aucun doute sur la condamnation qu’il attendait.
Ainsi elle vivra ! se disaient-ils… Elle vivra pour me pardonner et pour m’aimer… »
Le Rouge et le Noir, Stendhal-Livre II, Chapitre XXXVI p.511-512
Ayant renoncé à l’idée de vivre, Julien accepte de quitter dignement cette vie de malheur et de souffrance.
C’est ainsi que je m’en vais, se dit-il, un sourire satisfait au coin des lèvres. Ma condamnation est devenue un évidence et mes pensées s’éclaircissent.
Je suis léger à présent, libre sans fardeau à porter, mon honneur est lavé, je pourrai accueillir la suite à bras ouverts, mes juges seront sûrement durs et mon exécution certaine.
Las de son existence, il comprend finalement que c’est la meilleure option qu’il puisse suivre et l’idée de rejoindre le ciel le réjouit déjà. Il trouve même un certain bonheur à ses jours tranquilles dans son agréable taudis, loin des mœurs du passé qu’il laisse derrière lui. Son orgueil est comblé. Pourtant, après la révélation généreusement offerte du geôlier, ses pensées se troublent peu à peu, jusqu’à son sommeil. De rage, il se demande pourquoi il a fallu qu’elle survive. Il lève la tête et, à l’intention, du ciel s’écrie « Au diable la volonté divine ! » Cependant, il ne voit que les voûtes de sa cellule, qui semblent se moquer de sa disgrâce. Puis aussi vite qu’il s’est emporté, il se calme nettement pour laisser place au regret, cette sensation de n’avoir plus qu’un vide dans l’âme. Il se met à sangloter, anéanti par son échec.