Publié par Matthieu C.

Las de s’être contractés tout l’hiver les arbres tout à coup se flattent d’être dupes. Ils ne peuvent plus y tenir : ils lâchent leurs paroles, un flot, un vomissement de vert. Ils tâchent d’aboutir à une feuillaison complète de paroles. Tant pis ! Cela s’ordonnera comme cela pourra ! Mais, en réalité, cela s’ordonne ! Aucune liberté dans la feuillaison… Ils lancent, du moins le croient-ils, n’importe quelles paroles, lancent des tiges pour y suspendre encore des paroles : nos troncs, pensent-ils, sont là pour tout assumer. Ils s’efforcent à se cacher, à se confondre les uns dans les autres. Ils croient pouvoir dire tout, recouvrir entièrement le monde de paroles variées : ils ne disent que « les arbres ».

Incapables même de retenir les oiseaux qui repartent d’eux, alors qu’ils se réjouissaient d’avoir produit de si étranges fleurs.  Toujours la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et la même limite, toujours des feuilles symétriques à elles-mêmes, symétriquement suspendues ! Tente encore une feuille ! – La même ! Encore une autre ! La même ! Rien en somme ne saurait les arrêter que soudain cette remarque :

« L’on ne sort pas des arbres par des moyens d’arbres. » Une nouvelle lassitude, et un nouveau retournement moral. « Laissons tout ça jaunir, et tomber. Vienne le taciturne état, le dépouillement, I’automne. »

Francis Ponge, « Le cycle des saisons », Le Parti pris des choses (1942)

© Matthieu C.

 

Quand les fleurs seront fanées
Et quand les arbres auront enlevé leurs habits,
Son meilleur ami, l'été,
Partira sans faire un bruit ;

Les sapins, pudiques et timides,
Garderont leur manteau feuillu.
Entouré par ses odeurs humides,
À son tour, il sera revenu,

L'hiver, maladif, offrira ses brouillards ;
Le soleil, de plus en plus discret,
Se dévoilera beaucoup plus tard,
Caché derrière la haute sphère inclinée.

Chaque année à un rythme régulier,
Il revient de Décembre à Mars ;
Pourtant banal mais peu apprécié
Il disperse ses pluies éparses.

Mais tout cela n’est qu’éphémère,
Il s’en ira dans quelques mois.
C’est le début d’une nouvelle ère,
Et les bourgeons, de nouveau là,

S’ouvriront, soudés à leur allié de toujours,
Sans qui ils ne peuvent émerger,
Reverront la lumière du jour, 
Certains depuis des centaines d’années !

 

Tag(s) : #francis ponge, #1G2
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