Publié par Donovan

Ma vie de mensonges

Sa petite enfance s'est déroulée dans le hameau où, le temps que lui laissait son travail de régisseur forestier, son père exploitait une ferme.

L'Adversaire (Chapitre 4), Emmanuel Carrère

        Je vais vous raconter ma jeunesse qui est un mensonge du début à la fin.

      Aux débuts de mes années collège, j'étais plutôt mince, tout faiblard, j'étais le jouet de tout le monde. Je rentrais chez moi toujours couvert de bleus, mes parents me voyaient et ne disaient rien. En fait si, mais… ils me disaient « t'inquiète, fils, ça va passer ». C'était tout ce qu'ils disaient, vu que j'étais un chétif, un défectueux, je le resterais toute ma vie.

     Vrai, j'en avais marre qu'on me maltraite. C'est à ce moment que j'ai commencé à mentir. C'est là que commence mon histoire. Je suis peut-être frêle, mais un malingre ça sait réfléchir.

     Je me faisais frapper, je ressortais du collège avec des cocards, des hématomes... Un jour un homme m'a vu dans cet état et pour me réconforter m'a offert un verre. J'ai éprouvé un sentiment de plaisir, c'était la première fois – depuis le début du collège ! – qu’on était sympa avec moi. Tous les soirs en me voyant il m'offrait quelque chose.

   Un autre jour, pour faire diversion dans mon esprit aux violences, j'ai raconté que j'étais allé aux États-Unis, j'ai fait croire que j'avais rencontré une personne qui faisait des études, et que l'air qu'il donnait et son physique ne ressemblaient pas à quelqu'un qui faisait des études. Là je parlais de mon nouvel ami, cet homme. J'ai fait sa connaissance, on est resté en contact et je leur ai dit, aux brutes du collège, que mon ami américain était juste dans notre ville, qu'il avait des connaissances ici. Et alors ça été au-dessus de mes espoirs, mes bourreaux m’ont laissé tranquille : je leur ai dit que tous, mon ami, ses amis – tous ! –, allaient venir pour eux, ils m'ont cru et sont partis. Ils ne m'ont plus jamais maltraité.

     Quand j'y pense mes parents avaient à moitié tort seulement. Mais j'étais déçu par moi-même, car l’homme qui m'offrait à manger et à boire, ce que je faisais c'était que je maquillais ma vie en lui faisant croire qu'on me frappait encore, et lui le gentil monsieur continuait à m’inviter. Pour moi j'avais la belle vie, mais à la fin du collège plus personne n'était méchant. Ma vie avait totalement changé, j’avais beaucoup d'amis.

     Un soir durant une sortie entre amis, des inconnus m'ont pris dans une rue étroite et m'ont frappé. Je n’y ai pas cru tellement c'est allé vite et fort, je revivais ma propre vie. Je suis revenu parmi les miens, ils m'ont demandé ce qui s'était passé. J'ai répondu que j'étais « tombé par terre ».

     Jusqu'à l’âge adulte, ensuite, j'ai fait croire que j'avais trouvé un travail, et que ma vie avait continué de suivre sa route. En un sens c’était vrai. Tout n'a pas à être officiel.

     Le mensonge ça me colle encore à la peau.

 

 

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