Publié par Apolline

Statue en neige, Domaine de Valloire Galibier, en Savoie, France

Statue en neige, Domaine de Valloire Galibier, en Savoie, France

Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir, après tant d’années, cette pièce maçonnée de livres. Autrefois, je les distinguais aussi dans le noir. Je ne prenais pas de lampe pour choisir l’un d’eux, le soir, il me suffisait de pianoter le long des rayons. Détruits, perdus et volés, je les dénombre encore. Presque tous m’avaient vue naître.

"Ma mère et les livres", La maison de Claudine, Colette (1922)

        Je devais avoir cinq ans la première fois que je vis ce paysage. Depuis j'y vais tous les ans, je n'arrive pas à me lasser de ces montagnes vêtues de leur manteau blanc. J'avais même beaucoup de mal à définir leurs sommets, elles me paraissaient si immenses, les arbres étaient saupoudrés de neige, toutes les petites maisons, certaines plus colorées, s'unissaient jusqu’à ne plus pouvoir laisser distinguer les unes des autres avec ce qui avait l'air d'être un seul toit blanc : ces grands espaces nous donnaient l'impression d'être à l'autre bout du monde.

     Il y avait énormément de virages avant d'arriver en haut, ça retournait bien mon estomac. On était presque seuls, le village était peu peuplé, ça nous changeait du quotidien, de toute cette circulation en rentrant de l'école, de l'incivilité et de la discourtoisie des personnes. Alors partir me faisait le plus grand bien.

     Je me rappellerai toujours ce moment où je descendais de la voiture après ces heures de route interminable, ce moment où je sors, lorsque mes pieds touchent le sol ; la sensation de sentir quelques flocons glisser sur ma peau fraîche et la neige craquer sous mes chaussures : laisser mes premières traces de pas était un plaisir incomparable.

     Ce moment je l'attendais pendant de longs mois. Certains préfèrent l'été, de mon côté j'adore voir et parcourir la montagne en hiver, il n'y a rien de plus ressourçant que de sentir le froid parcourir son corps tout entier. Et puis il y avait ce chalet que mon père aimait tant, on y allait chaque année. Il était très grand, il y avait un grand poêle central qui chauffait toute la maison, des grandes fenêtres qui faisaient rentrer toute la lumière de l'extérieur, je me précipitais toujours dans ma chambre pour admirer le domaine skiable avec les remontées mécaniques, on voyait derrière les montagnes comme sur un tableau.

     En bas des pistes je jouais avec mes sœurs, on se lançait des boules de neiges gigantesques et on en faisait des bonhommes de plus en plus grands chaque année. Dans le village il y avait d’énormes statues qui faisaient cinq ou six fois notre taille, je me suis toujours demandé comment ils faisaient, mystère...

     Mais je crois que ce mon père préférait par-dessus tout, c’étaient nos rituels. Le premier soir on allait toujours dans ce restaurant où il faisait les meilleures tartiflettes de France, mais aussi les fondants au chocolat à tomber par terre, on faisait le tour du village à pied avant de rentrer au chalet, sans oublier la photo au même endroit tous les ans, c'était un peu ridicule mais ça lui faisait plaisir alors on se contentait de rire. Chaque année était comme la précédente, et à la fois plus différente, plus surprenante comme si je redécouvrais la montagne pour la première fois.

     Mon père adorait cet endroit, il appelait ça sa bouffée d'air. Le voir sourire, voir ses yeux qui brillaient avec les reflets de la neige me rendait heureuse.

     C'était donc ça le paradis ?

 

Tag(s) : #autobiographie
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