Publié par Elouan
Ce fut à treize ans, je crois que j’eus pour la première fois le pressentiment de ma vocation. J’étais alors élève de quatrième au lycée de Nice. […] Je revenais du lycée et m’attablais devant le plat. Ma mère, debout, me regardait manger, avec cet air apaisé des chiennes qui allaitent leurs petits.
Elle refusait d’y toucher elle-même […] Un jour, quittant la table, j’allai à la cuisine boire un verre d’eau. Elle tenait sur ses genoux la poêle à frire où mon bifteck avait été cuit. Elle en essuyait soigneusement le fond graisseux […] je sus soudain, dans un éclair, toute la vérité sur les réels motifs de son régime végétarien.
Ce fut à 10 ans, je crois, que j’eus pour la première fois la conscience du sacrifice de mes parents. J’entrais alors en sixième, et mes parents organisaient notre déménagement, ma mère rangeait inlassablement nos souvenirs dans les cartons, et mon père, monnayait bêche, tondeuse et tracteur.
À l’arrivée du camion de déménagement, je vis notre vie passée, chargée sur roues. Ma sœur et moi étions fous de joie de quitter enfin chemins de boue, chants de coq matinaux et champs à perte de vue. Plus de ramassage scolaire à 7 heures 20, ni de retours à la nuit tombée : j’étais enjoué. Ma mère et mon père faisaient le tour de la maison, laissant courir leurs mains sur les pierres et les linteaux de granit de notre feue longère. Ils avaient dans leurs yeux une lueur amère que je ne compris pas sur l’instant. Seul Nestor, notre golden retriever demeurait toujours le long de la porte d’entrée. Grosse boule de poils installée, comme à son accoutumée.
Dans le monospace familial, je ressentis comme un froid glacial. Mes parents, toujours de marbre, ne pipaient mot, traversant pour la dernière fois ces chemins que nous connaissions si bien. Et c’est lorsque je vis une larme couler sur le visage de mère que je compris le sacrifice de mes parents. Ils avaient quitté ferme familiale, nature et grands espaces, pour un petit appartement de banlieue, cités et jardins publics.
Je suis aujourd’hui toujours reconnaissant de cette belle preuve d’amour, grâce à laquelle je peux me lever, déjeuner et traverser le quartier, pour me rendre seul au collège à proximité.