Publié par Gaëlle

« Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s'éteignent, à la croire déjà morte, sans l'effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l'âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s'était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l'appartement. Charles était de l'autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme au contrecoup d'une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l'ecclésiastique précipitait ses oraisons; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d'un bâton; et une voix s'éleva, une voix rauque, qui chantait :


Souvent la chaleur d'un beau jour
Fait rêver fillette à l'amour.


Emma se releva comme un cadavre que l'on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.


Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s'inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.


– L'Aveugle s'écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d'un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.


Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s'envola !


Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approchèrent. Elle n'existait plus. »

Madame Bovary, Gustave Flaubert / Partie 3 -chapitre 8

© G.L.

© G.L.

 Chère Emma, ma chère Emma,

ma tendre femme, toi qui occupais mes rêves et qui les occupera à tout jamais, sans toi mon monde n’est plus pareil, sans toi mon monde et mon cœur ne sont plus.

Quelles ont été tes dernières pensées ? moi ? toi ? où peut être même tes amants Léon et Rodolphe ? étaient-ils les seuls ? à part moi qui as-tu aimé ? m’aimais-tu d’ailleurs ? et as-tu pensé à notre fille dans tes derniers instants ? as-tu pensé à notre petite Berthe ? la chair de notre chair, le sang de notre sang, ta fille, ma fille, notre fille et notre ange.

Emma, aide-moi s’il te plaît, je t’en prie mon amour, sans toi je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus que dire lorsque les gens me présentent leurs condoléances, je me retrouve en larmes, et lorsque Berthe aura l’âge de demander où est sa maman que devrais-je dire ? Emma que devrais-je lui dire ? Que sa mère s’est suicidée car elle n’a pas assumé son adultère, ses dépenses excessives et a préféré la mort au déshonneur et à la rédemption ?

Devrais-je lui dire à quel point sa mère était lâche et infidèle !

Emma, actuellement tu me fatigues, me désespères, m’énerves, m’attristes et m’attendris.

Etais-je un mauvais mari ? moi qui t’ai fait vivre confortablement, au chaud et offert de mon amour ! Considérais-tu tout ce que je faisais comme de l’amour ? ne te disais-tu pas que toutes mes actions attentionnées étaient un dû, un devoir de ton mari envers sa femme ? Qu’ai-je bien pu faire pour que tu cèdes à l’adultère ? pourquoi ne t’es-tu même jamais plainte ? et combien de fois as-tu cédé ?

Emma, tu as commis tellement de péchés que je devrais être dégoûté de toi, et pourtant, et pourtant... et pourtant je t'aime, et ce plus que tout, je t'aime du même amour inconditionnel depuis la première fois que je t'ai vue, et je t'aimerai de ce même amour jusqu'à la fin de ma vie, et même après ! Après tout le mariage n'est-il pas fait pour s'aimer dans la santé, comme dans la maladie et même après la vie ?

Emma, tu me manques, je ne comprendrai jamais tes adultères mais je t'aime, après tout peut-être n'étais-je pas assez bon pour toi ? Malgré tout, je t'aimerai toujours, oui pour toujours, mais tu n'es plus là. Tu n'es plus là mais je te parle, suis-je fou ? Le désespoir m'aurait-il fait perdre la tête ? Je ne sais pas et je ne veux pas savoir. Rien, je ne veux rien savoir.

Maintenant, je suis face aux gens, face à Berthe, face à Léon, face à Rodolphe et je ne sais plus quoi faire. Tous les jours, un par un, une heure après l'autre, minute après minute, seconde après seconde, ton manque se fait ressentir, à chaque instant ta présence s'efface.

Emma, cette lettre sera la dernière que je t'écris car tu es morte, oui, tu es bel et bien morte et ces quelques lignes m'ont permis de m'en rendre compte.

Berthe et moi penserons à toi,

Charles.

 

Tag(s) : #madame bovary, #S3
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :