Publié par Enzo, Nabil & Donovan

Mes yeux dans le temps de l'apparition - August Natterer, 1860 (peintre allemand schizophrène)

Mes yeux dans le temps de l'apparition - August Natterer, 1860 (peintre allemand schizophrène)

Mais à cause de toutes ces longues phrases, de toutes ces journées et ces heures interminables pendant lesquelles on avait parlé de mon âme, j'ai eu l'impression que tout devenait comme une eau incolore où je trouvais le vertige.
Moi, j'étais étourdi de chaleur et d'étonnement.

L'étranger, Albert Camus - Chapitre X

 

          Le procès devient vite lassant, il fait chaud, j’ai la tête qui tourne. Mes paupières se ferment peu à peu, je sens que je pourrais faire un malaise. La lumière commence à diminuer. Les ténèbres m’envahissent, et je sombre, je crois que je tombe ; oh mais...

          Je me retrouve au tribunal dans la même situation qu’auparavant, les mains menottées, assis sur un fauteuil. Le procureur n’est pas à sa place. Mais elle n’est pas vide, il y a là un homme de petite taille, avec une épaisse moustache, son regard est perçant, froid, et rien en lui n’inspire la confiance. À ma droite, mon avocat a aussi disparu, laissant à sa place un homme grand. Contrairement au deuxième homme, lui a un air réconfortant. Ils débattent sur mon sort, mais je écoute rien, je  ne veux pas écouter. L'homme à la place de mon avocat me regarde en souriant. Le second me fixe sans expression sur le visage. Un visage hagard qui n'inspire que la peur.

          La peur. Je ne la ressens pas. Ce sentiment que tout le monde éprouve. Mais que ce soir je ne ressens pas, la peur sensée me ronger intérieurement. Peut-être que le regard du grand homme a un effet rassurant. Je ne sais pas. Je ne sais rien. Pourquoi suis-je là ? Quelle est la cause de tout ça et surtout quelles seront les conséquences ? Quand j’y repense, je me dis que j’aurai dû réfléchir et prendre ma vie en main, avant que l’irréversible ne se produise. Je le regrette maintenant. Est-ce trop tard ?  

          Je replonge dans les ténèbres. N’ai-je pas déjà vécu ça ? Je me réveille encore une fois. Je suis sur une plage qui m'est familière, avec le soleil qui m'éblouit. Je me rends compte que cette plage et le soleil sont les mêmes que le jour où j'ai tué l'Arabe. Au loin j'arrive à apercevoir une silhouette mais elle ne m'est pas familière.  Elle est énorme, environ trois mètres de hauteur, et j’y distingue des poils bruns mais aussi de grandes cornes spiralées, d’une blancheur éclatante. – Dans mes souvenirs, l’Arabe avait un couteau dans sa poche, mais là il n’a rien. – Dans un élan de panique, je me résigne à courir le plus loin possible de la bête aux cornes énormes.

          Je me sens faible comme si mes yeux allaient se refermer. Je sens comme d’énormes épées de chaleur qui s’abattent sur mon corps. – Stop. Je suis stoppé dans mon élan. – Dans mon élan comme si cette énorme boule de feu et cette chose voulaient me tuer. A cause de cette chaleur, je tombe d’épuisement. Cette.... chose m'écrase, juste derrière moi, son pied juste au-dessus de ma tête ! 

          Je me réveille dans ce tribunal, c’est un enfer. Pendant que le petit homme moustachu continue à parler, je m'apitoie sur mon sort. – Pourquoi ai-je si mal au crâne ? –  Pourquoi avoir tuer, et pas avoir juste fui, comme je fuis cette bête ? Qu’est-ce qui m’a pris ?  J’aurais pu le faire, j’avais toute l’occasion, mais alors quoi ? Peut-être que je ne voulais pas décevoir Raymond.

          Ah ! J’ai trop chaud ! Et j’ai soif ! De l’eau !

          Il fait à nouveau tout noi…

        J'ouvre les yeux, et au moment où je les ouvre, je suis en train de me noyer, à ce moment, on me prend le bras et on me sort de l’eau ! Cette personne m'est familière mais je ne la reconnais pas, elle est très belle, avec sa queue de poisson. Est-ce une sirène ? Et son aspect familier, est-ce que ça vient de Marie ? Elle me ramène sur la plage au beau soleil. Elle commence à chanter, sa voix douce me rappelle les souvenirs passés avec ma mère, et Marie. Je m'endors. 

          Le soleil m'éblouit, j’ai soif. Dans mes mains je tiens un pistolet. Le pistolet n'a plus de munition. Au loin j'aperçois une silhouette poilue avec de grandes cornes qui ne bougent pas. Il y a cinq impacts de balles sur le grand corps humain de bouc, si grand. J'entends des sirènes au loin. Les bruits hurlants se rapprochent, je vois des policiers. Tous courent vers moi, je fais mine de rien. Je pars dans l'autre sens. Je regarde une dernière fois : la sirène se met à chanter. Les policiers s’affairent, ils ont chaud, ils transpirent comme s’ils étaient en alerte – c’est beau toute cette énergie –, je les comprends moi, on a tous chaud. Ils regardent mes mains, me regardent, le pistolet dans mes mains, ils m’attrapent. Ils m’attachent les mains, je suis traîné. Leurs corps lourds de sueur.

          Une douleur dans le bras. Engourdi. Des maux de tête. J'entends des vois. On me lève. Le tribunal, je suis au tribunal. Mon avocat, à coté. Le procureur, en rouge, il continue.

          Il parle trop fort.

 

Dessin d'une audience dans un tribunal

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Hallucinations visuelles et auditives

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La scène est-elle réelle ? N'est-ce qu'une vue de l'esprit ?

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LE CAUCHEMAR, Füssli (1781). Le démon incube est assis sur sa victime

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Tag(s) : #l'étranger
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