Publié par Klervi

La vengeance

Elle a senti d'abord, sur son visage et sur son cou, la brûlure mousseuse de la bombe lacrymogène. Elle a entrouvert les yeux, les a refermés tout de suite parce que cela brûlait encore plus et, tandis qu'il continuait à l'asperger, s'est mise à se débattre, à lutter de toutes ses forces contre lui, en sorte qu'il a eu l'impression que c'était elle qui l'agressait.

L'Adversaire, Emmanuel Carrère (page 171)

         Je bois mon café au bar du coin. Il est 7h39 et j'observe les clients, je n'ai que ça à faire de toute façon. Je feuillette aussi de temps en temps le journal local du matin pour voir les nouvelles informations et potentiellement des annonces de travail. Il y a une semaine à peine, j'ai perdu le mien malheureusement. J'étais vendeur dans un magasin de jouets réputé à Paris. Mon patron m'a viré, comme ça, sans rien dire. Alors que j'étais son meilleur vendeur ! Mais bon, je relativise, je trouverais un boulot rapidement. Je ne le dis pas à ma femme, cela la détruirait. Alors, je me débrouille et je fais comme si de rien était. Je suis obligé de mentir et c'est insupportable. Pour m'occuper, j'écoute la conversation d'une jeune femme brune assise à côté de moi. Elle parle au téléphone et elle semble stressée, de mauvaise humeur. Je l'écoute, elle se plaint. Sa voix est autoritaire et j'ai l'impression que la personne au bout du fil ne passe pas un bon quart d'heure ! Se plaindre si tôt me donne mal à la tête. Je la fixe, elle porte des beaux vêtements chers. Son sac à main est de haute gamme et elle est très soignée. Visiblement, elle a de l'argent. Alors pourquoi se plaint-elle ? Sa voix est si stridente… Je me décide à me concentrer sur elle et ne me gêne pas pour l'espionner. Mais je reste discret.

            Cela fait dix minutes qu'elle pleurniche comme une gamine de cinq ans. Elle dit qu'elle a trop de travail, pas assez de repos. Mais elle, au moins, elle a un emploi ! Elle devrait s’estimer heureuse au lieu de se plaindre de cette façon. Je subis des choses plus horribles qu'elle, et cette dame se permet de s'apitoyer sur son sort qui, à première vue, n'a pas l'air si terrible... Je remarque qu'elle a pris du café au lait, madame veut se la jouer « grande dame » mais elle n'est pas capable de prendre du café noir. Elle a pris également une tarte, la plus chère de la carte. Décidément, elle a les moyens !  

            À 7h55 elle s'en va. Je la suis car je ne sais pas comment m'occuper sinon. Elle n'adresse même pas un regard au serveur, elle ne dit pas « au revoir ». Elle est arrogante et malpolie. Sans vraiment réfléchir, je suis à mon tour dehors, je suis à dix mètres d'elle environ. Je fais bien attention qu'elle ne me voit pas. Elle est toujours au téléphone mais je ne l'entends plus car les bruits de la rue me rendent sourd. Vu son accoutrement classe, elle doit travailler dans building, et à un poste important, c’est sûr. Au vu de son physique elle doit être jeune, une vingtaine d'années. Après quelques mètres, elle entre dans un immeuble immense. Il est au moins de vingt étages ! Elle pénètre dans l'établissement moderne d'un pas pressé.

            D'une façon qui m'est inconnue, elle m'intéresse, je pense à elle toute la matinée. Je repense à sa voix stridente, son arrogance et ses plaintes répétitives. Je la revois à 12h45. Elle sort d'un pas toujours pressé, un homme du même âge sur ses talons. Je fronce les sourcils et observe le jeune homme qui l'accompagne. Il a l'air débordé et dépassé par les événements. Il porte de gros sacs et il a du mal à suivre la cadence de la jeune femme qui ne l'attend pas. Tout de même, parfois, elle se retourne pour lui crier dessus. Elle a de l'autorité et il ne riposte pas. Ensuite, je les perds de vue. Je préfère m'en aller. Elle m'agace toujours autant. Je ne la connais pas mais je ne l'aime pas. Je n'ai jamais apprécié les gens dans son genre, de plus elle est irrespectueuse et méchante. Une mégère bien habillée. Je t’ai démasquée, va…

            Il est 7h40. Je suis au même café qu'hier, je bois ma boisson et regarde la même femme que la veille. Elle est toujours aussi énervante. Cette fois-ci, elle est accompagnée du jeune homme d'hier. Il est fatigué, ses cernes le trahissent. Quant à elle, elle est toujours tirée à quatre épingles. Elle parle moins fort mais comme je me suis approché d'eux, je les entends bien. Elle parle cette fois-ci du gros dossier qu'elle doit gérer et de son augmentation qui n'a pas été effectuée. Je lève les yeux et soupire. Elle n'est donc jamais contente ! Je suis poussé à la curiosité et je ne me gêne pas pour écouter. Je dois découvrir qui elle est, son prénom, sa profession, ses habitudes. Une obsession malsaine pour cette inconnue naît en moi. Par chance, l'homme prononce son prénom à voix haute. Elle s'appelle Charlie. Bien, Charlie, ça commence bien ! Et le larbin, un allié malgré lui…

            Charlie se lève d'un coup et hurle, je plisse les yeux et la fixe. Elle jette son gâteau et se dirige furieusement vers le comptoir. Tout le monde s'est arrêté de parler et de manger pour la regarder. Ils sont tous choqués et il n'y a pas un bruit. Elle commence alors à rouspéter auprès du pauvre serveur, hébété. De ce qu'elle dit, elle est allergique aux cacahuètes. Intéressant... Visiblement, elle avait senti qu'il y avait des cacahuètes dans son déjeuner. Je souris et sors du café pour me rendre à son lieu de travail. Je vais me renseigner sur cette entreprise. L'immeuble est gigantesque et j'ai presque le vertige en regardant tout en haut. J'entre dans le bâtiment et me dirige vers l’accueil. La vieille femme me voit arriver et fronce les sourcils, puis, elle me sourit, c'est si superficiel que j'en vomis presque ! Je lui demande alors quelle est l'entreprise, ma question est assez étrange. Elle prend tout de même le temps de me répondre.

- C'est une entreprise de cosmétiques, voyons.

            Je la remercie et lui demande les horaires. Elle m'informe que tous les locaux ferment à 19h00 pétantes. Je pars, un sourire en coin, prêt à découvrir Charlie dans toute sa splendeur. Il est 19h00, j'attends à côté de l'immeuble. Charlie sort enfin, elle est seule et s'empresse d'emprunter une route juste à côté de son travail. Je la suis, je fais bien attention à ne pas être trop bruyant, je suis plutôt doué pour être discret. A ce moment-là, elle bifurque dans une petite ruelle déserte. Je fronce les sourcils et m'arrête un instant en me demandant ce qu'elle peut bien faire là-bas. Je hausse les épaules et m'aventure dans la rue sombre. Le tintement de ses talons est le seul bruit dans la ruelle. Elle finit par monter dans une voiture à la fin de la rue. Je m'arrête et la regarde partir. Je me dépêche de passer de l'autre côté et j'ai juste le temps de la revoir. Des questions se posent immédiatement dans mon esprit. Pourquoi va-t-elle dans cette rue ? Qui est cette personne dans la voiture ? C'est une femme mystérieuse. Le lendemain, j'établis un plan pour récupérer des informations sur Charlie. Peut-être que mon plan ne fonctionnera pas, je ne sais pas trop. Il est un peu surréaliste je dois l'avouer. Je me faufile dans le hall de l'entreprise de cosmétiques. D'ailleurs j'ai fait des recherches à son sujet. Crée en 1956 par un Américain, elle connaît un franc succès. Ici, on effectue des expériences et on crée de nouveaux produits. J'arrive vers l’accueil et remarque que c'est une autre femme. Je la salue et entame une conversation cordiale. Elle est jeune et naïve, parfait alors, ce sera plus facile pour la manipuler. Je suis venu tôt, il n’y a personne. Il est 8h00 pile. Mon mensonge est simple, lui faire croire que je dois la remplacer pendant une heure pour faire mes recherches. 

            Après un temps de négociation acharné, elle me laisse sa place. Elle s'en va, contrariée. Je ricane et m'installe, je jette des coups d'œil toutes les deux secondes. Ce n'est pas le moment de me faire cramer ! Je ne perds pas de temps et débute mes recherches. Je vais dans le fichier des employés et cherche le nom de Charlie, je trouve mais m'aperçois qu'il y a dix Charlie ! Je parcours les dossiers et au bout de quatre Charlie, je la trouve enfin. J'ai accès à toutes les informations précieuses. Son nom de famille qui est Sinclair, son adresse, son numéro de téléphone et sa place dans la société. Elle est créatrice de parfum de luxe. Je ne m'attendais pas à ça, son métier est intéressant mais il n'est pas payé avec des sommes gigantesques. Comment fait-elle alors pour se payer ces vêtements ? A ce moment-là, le hall est bondé et le stress monte. Je suis ravi de mon travail et pars en vitesse avant que la jeune secrétaire ne revienne. J'appelle un taxi et lui demande d'aller à l'adresse de Charlie. Elle réside dans un quartier chic de Paris, le 16ème. Et je suis toujours surpris, mais comment se débrouille-t-elle ? De nombreux mystères planent autour d'elle...

            Il est 19h36, elle arrive enfin, elle sort de la belle voiture de luxe. Un homme ne tarde pas à sortir aussi. C'est de plus en plus intéressant... Elle ne semble pas à l'aise alors qu'elle entre dans l’immeuble, l'homme qui doit être son petit ami la serre fort contre lui. Ils passent le hall d'entrée et je ne les vois plus. Cela fait deux semaines que je la suis, je l'étudie et que je l'examine. Et ma haine n'a pas variée. J'ai fait un travail acharné pour les informations complètes. Je connais pratiquement tout d'elle. Son petit ami est au fait très riche. Voilà pourquoi elle peut se loger ici et se permettre les habits de luxe. Son souffre-douleur, alias Thomas, est son sorte d'assistant. Elle est allergique aux cacahuètes, elle fait du jogging tous les samedis et en profite pour exposer sa vie sur les réseaux sociaux. Sa mère est veuve et son frère habite à l'autre bout du pays.

            Je me procure une drogue spéciale, elle permet de mettre dans les vapes la victime. Je fais bien attention que Thomas ne soit pas là. Elle est assise, seule toujours à la même table. Elle sirote son café au lait, je prends mon courage à deux mains et vais à sa rencontre. Je m'installe à côté d'elle et entame une conversation. Elle lève les sourcils et grogne, ne me prêtant pas trop d'attention. Je passe rapidement aux choses sérieuses et lui informe que le serveur la demande. Elle se lève et j'en profite pour glisser la drogue dans la boisson chaude, personne ne le remarque. Je pars et j'attends que cela fasse son effet. Elle se relève dix minutes après, elle est molle, ses pas sont lents. Elle gémit et ne marche pas droit, elle se tient la tête. Je bondis hors de mon siège, fais comme si je l'aidais. Je l'accompagne et elle s’évanouit, je la traîne dans ma voiture, en assurant aux passants que je la dépose chez un médecin. Je l'emmène dans les bois et ensuite dans un entrepôt abandonné. Je l’attache contre un mur et j'attends patiemment qu’elle se réveille. Elle ouvre les yeux et déglutit, elle sursaute quand elle me voit, elle essaye de se débattre mais elle reste bloquée. Je lui souris et elle me demande qui je suis. Je ne lui réponds pas. Je m'approche d'elle, elle est tétanisée et elle tremble. Je prends enfin ma vengeance ! Elle me hurle dessus et m'insulte vingt fois. Je plaque ma main sur sa bouche pour qu'elle se taise, mais elle me mord et je la gifle. Elle sanglote et me supplie de la laisser partir.   

- Jamais ! Dis-je.

            Elle pose sa tête contre le mur derrière elle et ferme les yeux. Elle tremble trop, je lui donne une couette. Puis, je lui donne à manger. Elle refuse de se nourrir et je commence à m'impatienter. Elle finit par céder et se rue sur la nourriture. Elle n'en laisse pas une miette. Ensuite, elle redevient agressive, je ne me laisse pas faire et lui donne une autre gifle qui la calme directement. Je ricane et pars. Je ferme à double tour l'entrepôt et la laisse dans le noir. Elle tape, hurle mais elle est prise au piège. Je souris, satisfait, et pars chez moi. Le lendemain, j'arrive à l'entrepôt avec des allumettes, de l’essence et son déjeuner contenant des cacahuètes. Je ne compte pas la garder trop longtemps ici, je préfère la tuer rapidement, c'est plus plaisant. Son apparence fait peine à voir, elle est totalement négligée. Elle qui déteste tant la saleté, elle est servie ! Elle me regarde d'un air vide. Des cernes entourent ses yeux clairs. Je lui dépose d'abord un café au lait qu'elle boit difficilement. Ensuite, j’ordonne qu'elle me donne son code. Je dois avoir accès à son portable, c'est crucial. Grâce à ce petit bijou, je pourrais créer une mise en scène parfaite. Elle refuse catégoriquement de me le passer, je n'ai donc pas le choix. Je prends le cutter et me lève lentement vers elle, Charlie est horrifiée. Elle bégaye mais ne veut toujours pas me passer son code. Alors, je lui enfonce le cutter dans le bras gauche. Elle hurle de douleur et des larmes coulent sur ses joues sales. Je la regarde droit dans les yeux alors que j'enfonce le cutter encore plus profondément. Elle finit par craquer. Je retire le cutter de son bras, elle hurle un long temps.  

            Je poste une photo instagram mettant en scène un départ en voyage. Je largue aussi son petit ami pour qu'il ne s’inquiète pas. Pour la torturer ensuite, j'ai apporté et déniché ses vidéos de famille. Je veux lui montrer à quel point elle était chanceuse avant de mourir. A l'aide d'un lecteur dvd, je mets en route une première vidéo, je l’oblige à regarder les petits films. Je place sur sa gorge le cutter, elle déglutit et se concentre sur la vidéo. D'abord, c'est elle et sa mère, elles rient et se baignent. La vidéo date d'une dizaine d'années. Elles sourient et elles sont heureuses. Elle sanglote, elle n'arrête pas de renifler. Je coupe le mini film pour en mettre un autre, c'est elle à son treizième anniversaire. Elle est si joyeuse et aimable dans les vidéos. Il y a sa famille qui l'applaudit quand elle souffle sur les bougies. On lui apporte tous les cadeaux et elle a les yeux qui pétillent. Je lis la souffrance dans son regard, ça marche ! Je finis en beauté en lui montrant une vidéo d'elle et son père, décédé. Elle hoquète et serre les poings. C'est une vidéo où ils sont tous deux épanouis, ils font des crêpes, elle rigole à gorge déployée. Ils ne se soucient de rien et c'est touchant. Elle me supplie d'arrêter et c'est ce que je fais. Son visage est baigné de larmes et tordu par la douleur. Je prends alors un briquet et brûle les albums photos de famille devant elle, elle braille en voyant les photos s'enflammer, je dois lui faire comprendre ses mauvaises actions, elle doit payer. Je rends service à tout le monde, à moi, à sa famille, l’humanité. On me remerciera. Elle ne manquera à personne. Je lui donne un mouchoir et elle s’essuie les yeux en reniflant. Je n'ai aucune pitié pour elle. Je veux que tout cela s'arrête alors je lui donne son repas, contenant principalement des arachides. Je la regarde manger sans poser de questions.

            Après dix minutes, elle commence à suffoquer. Elle tremble de partout, son visage devient rouge et des plaques se forment sur ses bras. Elle beugle comme un animal, je profite du spectacle. Elle est prise de violentes convulsions, son visage devient violet, un filet de bave coule de sa bouche entrouverte. Elle ne respire plus et elle s'arrête d'un coup. Elle ferme les yeux et je sais que c'est la fin. Je la regarde, je suis soulagé qu'elle soit enfin morte. Je prends un marteau et lui casse les dents, je suis pris de haut-le-cœur et m'arrête plusieurs fois. Si je ne lui casse pas ses dents, on pourra l'identifier et c'est hors de question. Ensuite, Je l'enveloppe avec un drap blanc et la dépose au centre du bâtiment délabré. Je la badigeonne d’essence, j'en mets partout autour d'elle. J'allume une allumette et la laisse tomber. Le feu va à toute vitesse, le sol s'embrase, je ferme l'entrepôt et pars loin. Derrière moi, tout brûle. Je ne me retourne pas.

            Je poste une dernière photo avant d'enterrer le portable de Charlie. Je m'enfuis dans la forêt en courant. J'ai réussi ma mission et je suis prêt à le refaire si par malheur quelqu'un recommence.

 

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