Publié par Enguéran
Attila, suivi de ses hordes barbares, foule aux pieds l’Italie et les Arts, Eugène Delacroix, 1847. Bibliothèque de l'Assemblée Nationale
Il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes.
Les barbares, dans le langage courant d'aujourd'hui, sont « cruels, durs, féroces, impitoyables, inhumains ». Avec ces multiples adjectifs, vous vous rendez vite compte qu'être appelé barbare est très péjoratif. Tous ces adjectifs peuvent être trouvés dans les définitions de mots fournies par le Grand Robert.
Les Grecs ont inventé le terme « barbares ». Ce fut d'abord, chez Homère, un type d'onomatopée : « br-br » font ceux qui ne parlent pas la langue grecque. Les barbares sont des gens qui « ne parlent pas bien », aux yeux des Grecs. Ils ont rapidement fourni un moyen de désigner « n'importe qui d'autre » que des Grecs, peu importe qui ils étaient.
C'est Montaigne qui a fait connaître le second sens de « barbare » et semble avoir envoyé un signal pour restaurer le barbare. Les barbares ne sont plus « l’autre, l’inférieur », mais « l'autre, le différent ». « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. Comme de vrai, nous n’avons autre mire [autre critère] de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances [usages, us et coutumes] du pays où nous sommes ». Avec un peu de recul historique, nous pouvons voir que les barbares n'ont pas toujours assumé le sens désobligeant, péjoratif et dépréciatif que nous lui avons donné aujourd'hui. Montaigne met ainsi en lumière un véritable paradoxe de la barbarie : chacun est l’étranger, donc le barbare de l’autre.