Publié par Denis & Tristan

Un jour qu’errant sans but dans la maison, il était monté jusqu’au grenier, il sentit sous sa pantoufle une boulette de papier fin. Il l’ouvrit et il lut : « Du courage, Emma ! du courage ! Je ne veux pas faire le malheur de votre existence. » C’était la lettre de Rodolphe, tombée à terre entre des caisses, qui était restée là, et que le vent de la lucarne venait de pousser vers la porte. Et Charles demeura tout immobile et béant à cette même place où jadis, encore plus pâle que lui, Emma, désespérée, avait voulu mourir. Enfin, il découvrit un petit R au bas de la seconde page. Qu’était-ce ? Il se rappela les assiduités de Rodolphe, sa disparition soudaine et l’air contraint qu’il avait eu en le rencontrant depuis, deux ou trois fois. Mais le ton respectueux de la lettre l’illusionna.

— Ils se sont peut-être aimés platoniquement, se dit-il.

D’ailleurs, Charles n’était pas de ceux qui descendent au fond des choses ; il recula devant les preuves, et sa jalousie incertaine se perdit dans l’immensité de son chagrin.

        On avait dû, pensait-il, l’adorer. Tous les hommes, à coup sûr, l’avaient convoitée. Elle lui en parut plus belle ; et il en conçut un désir permanent, furieux, qui enflammait son désespoir et qui n’avait pas de limites, parce qu’il était maintenant irréalisable.

       Pour lui plaire, comme si elle vivait encore, il adopta ses prédilections, ses idées ; il s’acheta des bottes vernies, il prit l’usage des cravates blanches. Il mettait du cosmétique à ses moustaches, il souscrivit comme elle des billets à ordre. Elle le corrompait par-delà le tombeau.

Il fut obligé de vendre l’argenterie pièce à pièce, ensuite il vendit les meubles du salon. Tous les appartements se dégarnirent ; mais la chambre, sa chambre à elle, était restée comme autrefois. Après son dîner, Charles montait là. Il poussait devant le feu la table ronde, et il approchait son fauteuil. Il s’asseyait en face. Une chandelle brûlait dans un des flambeaux dorés. Berthe, près de lui, enluminait des estampes.

Madame Bovary, Flaubert – Troisième partie, chapitre XI

Lettre amère

Ma chère Emma,

cela fait maintenant quelques semaines que tu es partie.

Ma douleur est profonde mais je dois continuer à vivre sans ta présence à mes côtés. Tu me manques et tu manques à Berthe.

J’ai de plus en plus de mal à m’occuper d’elle tout seul, à répondre à ses questions te concernant.

Un jour, je montai au grenier quand je découvris une ancienne lettre d’un certain Rodolphe, homme que tu as apparemment fréquenté sans m’en avertir.

N’étais-je donc pas assez bien pour toi ? N’étais-je donc pas un bon mari ?

J’étais dans une bonne situation en tant que médecin, je t’apportais mon amour et le bonheur, je te donnais ce que tu souhaitais.  

Quant à notre fille, tu l’as abandonnée pour ta personne, ton égoïsme, en ne pensant qu’à toi. Tu as préféré te donner la mort plutôt que d’affronter tes responsabilités.

Emma, où que tu sois aujourd’hui, je suis amer mais je ne t’oublie pas,

Charles

 

Tag(s) : #madame bovary, #S1
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :