Publié par Gaëlle
Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant.
Comme il portait beau, par nature et par pose d’ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier.
Quand la caissière me rend la monnaie de ma pièce, plus exactement de ma pièce de cent sous, je sors du restaurant en cambrant ma taille et en frisant ma moustache d'une manière plutôt élégante et raffinée. En sortant je jette un regard ténébreux aux dîneurs. Il y a beaucoup de femmes, dont quelques-unes sont extrêmement ravissantes, je remarque trois petites ouvrières, une maîtresse de musique plutôt mal peignée, coiffée d'un chapeau poussiéreux. Cette jeune femme ne doit pas vivre dans de superbes conditions, même sa robe est légèrement de travers, elle ne m'attire pas du tout. Pour finir, ces deux magnifiques bourgeoises plutôt bien habillées, bien coiffées, sans une poussière sur leurs robes droites et bien repassées, sont accompagnées par leurs maris, eux aussi très bien habillés, l'un avec un costume gris pâle, et l'autre d'un gris plus foncé. Ce n'est donc pas ici que je vais rencontrer ma dulcinée ! Pourquoi n'a-t-on pas tous la même chance de vivre de cette façon bourgeoise, accompagné d'une sublime femme raffinée ? Après avoir franchi la porte je me trouve sur le trottoir, je détourne mon regard de la gent féminine afin de m'arrêter quelques instants pour me demander, sachant que l'on est le 28 juin, comment je vais finir mon mois avec seulement trois francs quarante ? Cela va être très difficile, je dois prendre une décision entre payer le repas du soir ou celui du matin. Le repas du matin est bien moins cher ! Alors ma décision est prise, ce sera le repas du matin, et non celui du soir, comme ça il me restera quelques centimes qui me serviront à la collation de pain et de saucisson.
Je descends la rue Notre-Dame-de-Lorette, je marche comme au bon vieux temps, comme quand j'avais encore mon uniforme, beaucoup de gens sont sur mon chemin. Il y a des concierges le front nu, le chapeau à la main, ils fument leur pipe d'un air serein et vierge de souci, ils ne devraient pas être sereins, ce ne sont que de modestes employés, à eux non plus il ne doit plus rester beaucoup d'argent dans les poches ! Peut-être qu'ils ont une femme, cela expliquerait leur bonne humeur, peut-être sont-elles sublimes, peut-être ont-ils une relation épanouie ? Il serait temps que je trouve une jolie femme à tenir à mon bras, prouver que je peux toujours plaire et que je suis charismatique, beau est élégant. Je ne demande qu'une seule chose, c'est un peu plus d'amour, de bonheur, me sentir regardé, aimé, désiré.
Je parle beaucoup aux femmes, je suis plutôt charmeur, je vais rôder là où les femmes passent la moitié de leurs temps, afin de les séduire. J'aime les regarder danser. Et leur parler, pour voir leur joli visage s'illuminer, et leurs magnifiques lèvres roses bouger. Ce que j'aime par-dessus tout, c'est être près d'elles pour sentir leur parfum qui repose sur leur peau pâle, et leur cou dévoilé, où l'on peut apercevoir leur clavicules légèrement apparentes. Cela leur donne un côté exalté plutôt beau, ça me fait les désirer, le parfum d'une femme est pour moi la plus belle odeur existante dans ce monde. C’est inouï ! Comme je suis romantique ! C’est apaisant, et stimulant en même temps.
Je viens de m'arrêter devant un café. J'ai très soif, beaucoup de personnes sont en train de boire et de rigoler à haute voix, je trouve ça emblématique de Paris, et cela va bien avec mon désir. Tout Paris vibre, tout entier désirant. Si moi aussi je me désaltérais un peu ? Mais je n'aurais plus rien pour mon souper. Il faudrait que je gagne dix heures, et je prendrai mon bock à l'Américain. Non d'un chien ! Que j'ai soif tout de même !
Partout où je vais, je vois que tout le monde a de l'argent, ils peuvent se désaltérer sans se soucier de l'argent qui leur reste, leur poches sont remplies de pièces d'or et d'argent, mais quand je plonge mes mains dans mes poches, moi, je ne trouve que quelques miettes de pain qui ne valent rien ! Les cochons qu'il sont!