Publié par Océane

Maison riche / maison pauvre

Maison riche / maison pauvre

Nous avions déménagé. Notre nouveau logis, disposé à peu près comme l'ancien, meublé de façon identique, était plus étroit et moins confortable. Pas de salle de bains ; un seul cabinet de toilette, sans eau courante.

Mémoires d'une jeune fille rangée (1958), Simone de Beauvoir (pp.129-133)

      Aujourd'hui, c'est le grand jour, je quitte après tant d'années mon appartement vieillot que je déteste tant.

     J'avais tout au plus 6 ans mais je me souviens exactement quelle vie était la mienne, je me revois encore dans cette chose qu'on nommait logis. C'était une horreur, j'avais tellement peur, je me rappelle que je partageais ma minuscule chambre avec mon frère. Elle était très sombre, il n'y avait pas une seule nuit où je ne faisais pas de cauchemar. Parfois, certaines nuits, je me réveillais en sursaut, la pluie atteignait mon visage puis inondait le logis. L’appartement était tellement petit… quand cela nous arrivait nous savions de quoi était fait le lendemain. Je passais de longues heures à essayer d'évacuer l'eau du mieux que je pouvais. J'entends encore dans ma tête ce ruissellement d'eau, ça ne me choquait même plus, c'était mon quotidien.

     Mais je savais que je n'allais plus jamais devoir vivre cela, car après tant années, je quittais enfin mon logis, je laissais derrière moi mon ancien domicile. Je me souviens, j'étais trop excitée de découvrir ma nouvelle habitation, je n'avais pas dormi de la nuit, je me rappelle que je n'avais pas fermé l'œil de la nuit une seule minute. J'étais si fatiguée au petit matin que je n'avais aucune énergie. Durant le trajet, j'imaginais comment ma nouvelle maison serait, j'étais très impatiente. Quand la voiture s'arrêta devant cette demeure, du haut de mon mètre vingt, je ne pus y croire, je crus voir un château, je n'en revenais pas, j'étais sous le choc. Il me paressait le plus merveilleux, le plus miraculeux, le plus extraordinaire !

     Vivre ici, c'était un rêve que jamais, ô grand jamais je n'aurai cru réalisable ! J'étais là devant cette habitation immense, je n'osais même pas y rentrer,  je voyais seulement la façade mais elle me comblait déjà de bonheur. Tout à coup, je ressentis des pulsions m'envahir... mes jambes se mirent à marcher, courir, voler jusqu'à l'entrée.

     Aussi loin que je me rappelle, en premier lieu quand j'ai ouvert la porte, j'étais nez à nez face au salon, je n'avais jamais vu autant de luminosité dans une même pièce, des fenêtres partout, des couleurs vives rayonnaient, la décoration était grandiose, pas un espace n’était vide, tout était comblé de meubles magnifiques. Ce salon était aussi grand que mon ancien logis.

     Je n’avais qu'une hâte, découvrir ma chambre. Pour la première fois de ma vie, j'allais avoir mon propre espace. Cela me prit des heures pour visiter cette nouvelle demeure, j'analysais tout, le moindre petit détail, autant de changement en si peu de temps, c'est quand même inimaginable !

     Cette maison était pour moi une sublime horreur, j’étais enchantée et terrifiée par sa beauté, inconnue, inédite !

     Je ne me souvenais plus de rien, une fois à l'intérieur, j’oubliai tout sur le champ : plus rien ne me faisait penser à mon appartement.

Tag(s) : #autobiographie
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