Publié par Klervi P.
Journal de bord du basculement
Embarqué dans le train du Covid19. Passager sans ticket ni destination pour la pandémie, non volontaire pour le risque, pas partant pour l’inconnu, je suis observateur, reclus malgré moi, otage de la pandémie. Il paraît que je peux faire quelque chose pour être acteur et sortir de là. Écrire ?
Nous sommes lundi 16 Mars, il est 9h00 du matin. L’inquiétude est à son comble, une pression monte sans cesse dans la maison où des tensions ont déjà lieu. La cohabitation risque d’être compliquée… C’est toujours le même sujet de discussion. Le virus, les morts, les mesures de sécurité. Je ne me sens pas d’attaque pour entamer cette journée qui se fera exclusivement chez moi, enfermée. Ma mère m’interdit de sortir, ne serait-ce que dans mon jardin. Je ne peux plus respirer l’air ni voir la lumière du jour… Je suis emprisonnée pour ma sécurité. La télévision est allumée seulement pour la chaîne d’information continue. Toutes les oreilles de la maison écoutent attentivement les discours des ministres, des journalistes. Des ondes négatives circulent dans notre habitation. Jamais je n’avais vécu une aussi grosse crise, tous les établissements scolaires sont fermés. Au début, j’étais ravie de l’apprendre, l’idée de rester à la maison était plaisante. Mais cela prend une tout autre tournure, beaucoup plus dramatique. Les déplacements sont limités aux plus grands besoins comme les courses. Les rassemblements amicaux et familiaux sont déconseillés. Toutes ces mesures prises me font penser à la fin du monde. La Terre s’est arrêtée de tourner comme si nous vivions dans un monde apocalyptique.
Ma mère veut aller faire des courses, je m’empresse de l’accompagner pour sortir une dernière fois, elle accepte à contre-cœur. Nous roulons dans les rues pratiquement désertes de notre petite ville. Nous croisons quelques personnes qui nous fixent tous et nous dévisagent. Les gens sont devenus sauvages, méfiants. Une simple toux et on s’écarte de toi directement. La paranoïa des gens n’a plus de limites malheureusement. Arrivées à destination, je vois une longue queue qui s’étend jusqu’à l’extérieur. Je souffle et nous sortons pour prendre nos sacs, pas question pour ma mère de prendre un caddie. Des lignes noires sont tracées sur le trottoir pour faire une délimitation d’un mètre qui n’est pas vraiment respectée. Les gens se lancent des regards mauvais, je reste bien accrochée au bras de ma mère qui sert fortement ses sacs. Nous arrivons enfin dans le magasin, ce que je vois me choque, j’écarquille les yeux et regarde la scène, bouche-bée. Les rayons sont dévalisés, les gens dévalent les rayons en courant avec les caddies pleins à craquer ! C’est comme si nous allions mourir d’une minute à l’autre, on me bouscule et je tombe presque au sol. La personne ne se retourne même pas et continue son chemin vers un autre rayon. A travers les allées, j’observe de nombreux dégâts. Des fous ont déjà pillé des étagères. C’est si affolant de voir comment la population déraille complètement, le peu de solidarité qu’il y avait est partie en fumée ! Désormais c’est chacun pour soi ! Je vois deux femmes se battre pour du papier toilette, c’est à la fois ridiculement drôle, et pathétique. Voir comment le comportement des gens change est intéressant. La situation empire un petit plus à chaque minute. Dès que de nouvelles infos circulent, c’est la panique générale. Sur les réseaux sociaux, il y a tout et n’importe quoi, des fake news naissent tous les jours, qui créent le buzz et le chaos total. Si jamais la situation en venait à complètement dégénérer… alors quoi ? Si jamais le peu d’équilibre qu’il y a s’effondre… ah, et bon ? Si jamais l’augmentation des morts croissait encore, comment ferions-nous ? Je me pose beaucoup de questions, la situation devient vraiment très folle. Les gens deviennent des bêtes ! Ils sont prêts à tout comme des lions affamés. Le virus qui grandit et qui se glisse dans nos maisons m’effraie.
Je rentre des courses au bout de deux heures, c’est si épuisant que je m’effondre sur mon lit et ferme les yeux. Le reste de la journée risque d’être long, très long… Malgré les cours en ligne, cela ne suffit pas à combler mon ennui trop grand. J’erre dans ma maison en cherchant quelque chose à faire. Toutes mes pensées sont préoccupées par cette maladie qui contamine toute la population et décime les personnes les plus vulnérables. Le discours du président est attendu avec impatience par toute la famille. Au final, rester chez soi n’est pas une partie de plaisir… Je me prends la réalité écrasante en pleine figure ! Pour tuer le temps qu’il reste, j’appelle mes amies pour débriefer cette journée surréaliste.
Je m’installe pour regarder attentivement le discours du président, j’attends avec impatience les paroles de notre dirigeant. Je suis absorbée par ce qu’Emmanuel Macron dit avec conviction. Des phrases me frappent plus que d’autres comme « Nous sommes en guerre ». Elle me reste à l’esprit toute la soirée, comme un écho insensé mais obsédant. Des mesures sont encore prises comme le confinement total, l’interdiction de sortir et de voir du monde sauf urgence. La tension ne fait qu’empirer chez moi mais je reste objective et essaie de ne pas paniquer. Rien ne sert de courir partout ni de crier. Je préfère m’isoler plutôt que de supporter la folie de mes proches. Je prie pour que la journée de demain se passe mieux, que la panique s’apaise, même si j’en doute fortement. Je décide de me coucher tôt pour être en forme. Je ferme les yeux. Je m’endors…