Publié par Mathilde

« Ce dégoût pour ceux qui accordent plus de poids au monde qu'à la destinée unique de leur âme, qui ignorent cette lutte entre les deux foudres inconciliables de l'âme et du monde, parce qu'ils se rangent, avant même de l'entamer, dans le camp adverse, celui qui se nourrit de leur propre destruction. Je regarde ces éclairs qui tombent sur la terre trempée des os, dans l'intolérance du ciel nerveux. Ces mots qu'il lui faut chercher là où le siècle les a mis, sous la terre, plus profond que les morts. Ces mots en décomposition, ces imprécations, ces morceaux d'un langage fossile. Dans les soubassements d'un corps dans les sphères magnétiques de l'âme, c'est le même air sec, rare. Entendre cette voix, mais ce n'est pas possible, ce serait rompre un à un les engagements contractés à notre insu depuis notre naissance, et s'enfoncer pour soi dans un amour unique, absolu, à quoi bientôt ne correspondrait plus aucun repère, pas même ces lettres d'un plus que fou. »

L'enchantement simple, Christian Bobin (pp. 51-52)

Fleur fanée © M.H.

Fleur fanée © M.H.

Je me suis durcie sous l’effet de ma dernière perte. Elle m’a enlevé quelque chose d’humain. Avant, j’étais si émotive que je m’effondrai sur demande. Aujourd’hui ma réserve d’eau est vide. Bien évidemment que je me soucie des êtres autour de moi, mais un mur sans fin fait obstacle entre ce que je ressens et ce je veux montrer.

Ils ne m’ont pas dit que ça ferait si mal. Personne ne m’a prévenu de l’immense douleur qui peut être éprouvée. Je n’arrivai pas à trouver la sortie, ni à lire les livres réservés à l’écriture de la tristesse. Nous sombrerons un jour ou l’autre, quand la personne qui partage nos moments de joie et de chagrin part. C’est le type de douleur qui ne te frappe pas comme un tsunami. C’est un lent cancer. De celui qui ne se manifeste pas pendant des mois. N’a pas de signes visibles. Mais dans tous les cas, la fin est la même. Cancer ou tsunami. Une perte est une perte.

C’est comme si tu m’avais jetée si loin de moi-même, que j’essaie depuis de retrouver mon chemin.

J’essaie de te faire revenir par mes larmes. Mais il n’y a plus d’eau. Et tu n’es toujours pas revenu.

Je ne compte plus les jours qui passent. Le soleil devient lune et la lune devient soleil. Je deviens fantôme de moi-même. Des dizaines de pensées différentes me traversent comme l’éclair à chaque seconde.

Il faut que t’y ailles. C’est peut-être mieux que tu restes. Je suis d’accord, non. Je suis en colère, oui. Je te déteste, peut-être. Mais ce que je sais c’est que je ne peux pas avancer. Oui, il est possible de haïr et d’aimer quelqu’un en même temps. C’est mon cas. Tous les jours. Mais j’essaierai de te pardonner, jusqu’à ce que mon mental s’épuise pour se réduire à un silence.

Ce n’est pas ce que nous avons laissé derrière qui me brise. C’est ce que nous aurions pu construire si nous étions restés.

À quoi ressemble l’amour ? demande ma thérapeute, un mois après la rupture. Je ne sais pas très bien comment répondre à la question. Si ce n’est que je pensais que l’amour te ressemblait. C’est quand il m’a frappée que j’ai compris, mais j’ai réalisé longtemps après combien j’avais été naïve d’investir une si belle idée sur l’image d’une personne, comme si n‘importe quoi sur cette terre entière pouvait englober tout l’amour possible, comme si cette émotion qui fait frissonner sept milliards de gens te ressemblait.

À quoi ressemble l’amour ? demande à nouveau ma thérapeute. Je ne pense pas que l’amour soit encore lui. Si l’amour était lui, il serait là n’est-ce pas ? S’il était le bon, ne serait-il pas assis en face de moi ?

Je ne pense pas que l’amour soit encore lui, je répète, je pense que je voulais simplement quelque chose que je croyais plus grand que moi, et quand j’ai vu quelqu’un susceptible de convenir à cette envie, ce besoin profond, j’ai eu la ferme intention de faire de lui mon double, et je me suis perdue pour lui. Il a pris et il a pris, m’a enveloppée de son âme jusqu’à ce que je sois totalement convaincue que ses yeux étaient faits uniquement pour me voir.

Peut-être avons-nous tous une idée fausse, nous pensons qu’il est à chercher à l’extérieur, qu’il doit nous percuter lorsque nous sortons de l’ascenseur, ou qu’il doit se glisser là où nous sommes assise, dans un café, quelque part, avoir l’air suffisamment intéressante et intellectuelle à la fois. Mais je pense que l’amour commence ici, tout le reste n’est que désir et projection de tous nos besoins, envies et fantasmes.

L’amour ne ressemble pas à une personne, l’amour est nos actions, l’amour c’est donner tout ce que nous pouvons, l’amour c’est la compréhension. Nous avons le pouvoir de nous blesser mutuellement, mais nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ne surtout pas le faire.

Si quelqu’un se présente, il te donne cette compréhension comme toi tu la lui donnes.

Mais ses actions semblent te casser, au lieu de te construire.

L’amour c’est savoir quoi choisir.

Je vis encore pour cette première seconde du matin. Lorsque je suis à demi-consciente. J’entends les moineaux dehors. Je sens la petite brise matinale. Puis je réalise que tu n’es plus là.

Tu as emporté le soleil avec toi quand tu es parti. Ton absence est un membre amputé.

Qu’est ce qui est plus fort que le corps humain, qui se brise à maintes reprises ? Et pourtant continue de vivre ? Comme l’arc-en-ciel après la pluie. La joie va se révéler après le chagrin.

Après la pluie le beau temps.

Tag(s) : #christian bobin, #1G7
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