Publié par Maxime

Au fond je suis un sportif, le sportif au lit.
Comprenez-moi bien, à peine ai-je les yeux fermés que me voilà en action.

Ce que je réalise comme personne, c'est le plongeon.
Je ne me souviens pas, même au cinéma, d'avoir vu un plongeon en fil à plomb comme j'en exécute.
Ah, il n'y a aucune mollesse en moi dans ces moments.

Et les autres, s'il y a des compétiteurs, n'existent pas à côté de moi.
Aussi n'est-ce pas sans sourire que j'assiste, quand exceptionnellement ça m'arrive,
à des compétitions sportives.
Ces petits défauts un peu partout dans l'exécution, qui ne frappent pas le vulgaire, appellent immédiatement l'attention du virtuose ;
ce ne sont pas encore ces gaillards-là, ces « Taris » ou d'autres, qui me battront.
Ils n'atteignent pas la vraie justesse.

Je puis difficilement expliquer la perfection de mes mouvements.
Pour moi ils sont tellement naturels.
Les trucs du métier ne me serviraient à rien, puisque je n'ai jamais appris à nager, ni à plonger.
Je plonge comme le sang coule dans mes veines.
Oh! glissement dans l'eau!
Oh! l'admirable glissement, on hésite à remonter.


Mais je parle en vain.
Qui parmi vous comprendra jamais à quel point on peut y circuler comme chez soi?
Les véritables nageurs ne savent plus que l'eau mouille.
Les horizons de la terre ferme les stupéfient.
Ils retournent constamment au fond de l'eau.

Henri MICHAUX, La Nuit remue (1935)

Le pont de l'Amour

Le froid se glissait entre les mailles de mes laines. Ah ! Le mois de janvier refroidissait mon cœur et rallumait les cheminées de la mélancolie. Mon responsable au fast-food où je travaillais m'avait viré. 

*

J'étais bloqué dans mon appartement toute la journée, je nageais dans mes rêves, je m'y noyais aussi. Il n'y a que moi et moi seul, car les autres m’étouffent et m'empoisonnent. S'il y en a, ils n'ont pas de visages, de pensées, ils ne sont là que pour admirer ma virtuosité. Ils ne sont que des marionnettes au service de ma volonté suprême. Mes rêves ne sont qu'un vaste océan que mes larmes, mes peines et mes souffrances ont rempli peu à peu. L'horizon est le but à atteindre, le Soleil illusoire nous éclaire le chemin. La Lune pleine est plus souvent présentée accompagnée par une pluie d'étoiles étincelantes comme des diamants. Parfois, il m'arrive de me laisser porter par la houle, de me faire engloutir par les vagues immenses quand la tempête fait rage et de me laisser couler, sans l'envie de remonter à la surface. Les fonds marins sont un monde de silence où le calme règne en maître, où la vie s'éteint dans un silence de plomb.

*

J'aime le vent, j'ai toujours eu l'impression qu'il était perdu, condamné pour l'éternité à chercher son but, un refuge qui veuille bien l'accueillir ou bien même un ami avec qui parler. Mais il est trop pressé, il ne nous remarque pas et pourtant moi je veux l'aider, je veux lui offrir un peu de mon temps. Le sien est trop précieux.

*

Un soir de plus où le travail n’en finit pas et la fatigue se fait sentir, je me laisse envoûter par Morphée qui m’emmène de ses bras divins dans un monde obscur et clair à la fois.

Je me trouve dans un halo de lumière mais tout autour de moi est sombre et couvert d’un épais brouillard, si épais qu’on aurait du mal à passer à travers.

Des cris et des pleurs se font entendre dans un silence glacial, un sentiment d’oppression me hante et m’étouffe sans que je puisse expliquer sa provenance. Les cris deviennent des hurlements et il se met à pleuvoir, je me retrouve empli de tristesse et de haine, sans moyen d’y échapper, sans même le moyen de comprendre d’où elles viennent. Ce monde est si vide, où les Hommes ont délaissé tout espoir, tant et si bien qu'il a fini dévoré par la cruauté de la vie.

Oh ! vie immortelle, déesse de l’injustice qui frappe sans scrupules, même les âmes les plus pures et innocentes. Personne n’échappe à ton gourou, seulement, celle qui souffre le plus c’est toi, toi qui déverse ta haine sur les autres, toi qui n’aime personne, toi que personne n’ose aimer, cause à ta fourberie. Tu es seule, bien seule, dans ce monde dépourvu d’Amour, cette déesse tout aussi vicieuse que toi et qui t’a abandonné dans les abîmes, les bas-fonds de ce monde ; et toi qui nous rappelle sans cesse ta faute. Tu l’aimais, cette déesse d'Amour, mais elle est inaccessible et t'a brisée, personne n’était là pour te réconforter. Te voici à mes pieds, allongée sur le sol maintenant trempée par la pluie qui ne cesse depuis. Son corps vieux et ses formes qui se dessinent dégoûtent tous les Hommes, ses cheveux sont semblables à de la paille où la poussière et la crasse ont fait leur nid. Ses yeux faits de constellations nous plongent dans un rêve qui me font oublier pour un court instant les calomnies qui se déversent et couvrent mon corps nu, sans que je sache comment j’ai perdu mes vêtements. La vie se lève et me prend dans ses bras, sa présence est insoutenable, son odeur empeste le rat mort et son corps est couvert des cicatrices que l’Amour lui a laissées pour seuls souvenirs. Nos deux corps mouillés sont collés et sa beauté repoussante me prend en otage, je ne peux plus, je ne peux plus hurler, je ne peux plus respirer, et avant de me réveiller en sursaut, la vie se penche à mon oreille et me murmure : « Je t’aime ».

*

Le paresseux me fait beaucoup penser aux Hommes, avec ses grands bras ils pourraient attraper toutes les étoiles du ciel, mais à la place il s'en sert pour se reposer. J'aurais aimé lui offrir toutes les étoiles du ciel...

*

Ma petite amie s’appelait Émilie, elle était magnifique. Brune avec des tâches de rousseur, elle n'était pas bien grande, 1m58 si mes souvenirs sont bons, bien sûr qu'ils sont bons...

Ses courbes malicieuses et biens prononcées rendaient fou n'importe quel homme, quelle femme, mettait même n'importe quel Dieu à sa merci. Elle se servait souvent de son corps pour jouer avec moi. Malheureusement, comme chaque belle histoire, la fin est venue nous séparer. Il m'arrive parfois en fermant les yeux de l'apercevoir dans un champ de blé, heureuse de me voir comme si elle attendait que je la rejoigne pour de bon.

*

Je m’endors de nouveau sur le sofa de mon salon (16h48) après la journée éprouvante que je viens de passer, je suis prêt à tout pour me retrouver dans les bras de cette femme fabuleuse, dont j’ai rêvé la semaine dernière.

Elle avait beau sentir une odeur très forte, son réconfort m’avait touché aux tréfonds de l'être.

Une fois les yeux fermés, et que le marchand sable m’a recouvert de ses grains d’or, je me retrouve à nouveau dans un nouveau monde, un monde chaud et enjoué où respirent la joie et le bonheur. Tout, tout autour de moi, est couvert de multiples couleurs et je suis seul, enchaîné à un collier, tout comme dans mon dernier rêve je ne peux ni fuir ni crier. Pourquoi crier ou s’enfuir d’ailleurs, je me sens terriblement bien et mon corps est empli de toutes les joies, bercé comme un enfant dont on prend soin. Ce sentiment d’être aimé nous aveugle, nous empêche de voir la vie en face - car qui à véritablement envie de la voir, couverte de cicatrices, et nous asphyxiant d’une odeur terrible ? -. Elle nous aime, pourtant elle hurle, hurle de toute ses forces son amour pour nous, elle essaie de nous prévenir de ne pas nous laisser aveugler par cette vipère qu’est l’Amour, elle est proche de moi, et c’est elle qui tient les chaînes auxquelles je suis emprisonné.

Je n’essaie point de me débattre, son doux parfum et ses belles formes m’envoûtent, c’est un fantasme vivant, un paradis artificiel des plus destructeurs, aux ravages incalculables. Elle me touche de sa main diabolique, sur laquelle on peut apercevoir gravé « Filia satanae ». Tous les êtres et même les dieux - personne ne peut l’ignorer ni ne peut la haïr - préfèrent la laisser les hanter et les maudire. Et moi, petite chose, je me plie.  Je suis seul dans ce monde, juste elle et moi, car elle est l’illusion de l’affection mais en réalité nous sommes seuls, seuls à donner une part de notre être le plus profond, à entretenir cette flamme qui brûle, pour personne, car personne ne répond.

Il se fait un silence assourdissant avant que l’Amour ne se penche elle aussi à mon oreille et me murmure : « Je te hais ».

*

Une odeur de pin vient caresser mes narines. Je suis en plein milieu de la forêt, pas n'importe laquelle, oh non. Cette forêt je la connais bien, je venais souvent m'y promener avec ma grand-mère quand je lui rendais visite. Il fait nuit et le vent siffle entre les épines des pins. Je pousse une brouette avec une pelle dedans, je dois dire que j'ai beau connaître cette forêt comme ma poche, je suis un peu perdu. Après de longues minutes, je m'aperçois que ma grand-mère m'accompagne. Elle est nue, pâle, avec la peau sur les os, ses seins fripés pendent comme deux pendus du gibet de Montfaucon. On remarque gravé sur sa peau, au niveau de sa hanche « Filia satanae ». Elle porte sur les épaules un immense cercueil de marbre. Une fois arrivée au milieu de la forêt, elle se met à creuser un trou béant, comme une porte qui donnerait sur le royaume des morts. Pour finir, elle me pousse dedans et me recouvre de terre. Je plonge, je tombe...

*

Je ne veux plus remonter, je vois à travers l'eau la Lune m'appeler. Je ne l'entends point, tout est froid et triste, ce vaste océan n'est plus si effrayant. Il me semble que j'y nage à mon aise. Il me console, la Mer me prend dans ses bras, mais ! je me noie... je me noie !

Tag(s) : #henri michaux, #1G7
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