Publié par Orane
Le satin des pages qu'on tourne dans les livres moule une femme si belle
Que lorsqu'on ne lit pas on contemple cette femme avec tristesse
Sans oser lui parler sans oser lui dire qu'elle est si belle
Que ce qu'on va savoir n'a pas de prix
Cette femme passe imperceptiblement dans un bruit de fleurs
Parfois elle se retourne dans les saisons imprimées
Et demande l'heure ou bien encore elle fait mine de regarder des bijoux bien en face
Comme les créatures réelles ne font pas
Et le monde se meurt une rupture se produit dans les anneaux d'air
Un accroc à l'endroit du cœur
Les journaux du matin apportent des chanteuses dont la voix a la couleur du sable sur des rivages tendres et dangereux
Et parfois ceux du soir livrent passage à de toutes jeunes filles qui mènent des bêtes enchainées
Mais le plus beau c'est dans l'intervalle de certaines lettres
Où des mains plus blanches que la corne des étoiles à midi
Ravagent un nid d'hirondelles blanches
Pour qu'il pleuve toujours
Si bas si bas que les ailes ne s'en peuvent plus mêler
Des mains d'où l'on remonte à des bras si légers que la vapeur des prés dans ses gracieux entrelacs au-dessus des étangs est leur imparfait miroir
Des bras qui ne s'articulent à rien d'autre qu'au danger exceptionnel d'un corps fait pour l'amour
Dont le ventre appelle les soupirs détachés des buissons pleins de voiles
Et qui n'a de terrestre que l'immense vérité glacée des traîneaux de regards sur l'étendue toute blanche
De ce que je ne reverrai plus
A cause d'un bandeau merveilleux
Qui est le mien dans le colin-maillard des blessures
"Les écrits s'en vont"
Clair de terre, 1923, André Breton
Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures
Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides
Que ces pierres blettes
Plutôt ce cœur à cran d’arrêt
Que cette mare aux murmures
Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l’air et dans la terre
Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale
Plutôt la vie
Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires
Ses cicatrices d’évasions
Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe
La vie de la présence rien que de la présence
Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là
Je n’y suis guère hélas
Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir
Plutôt la vie
Plutôt la vie plutôt la vie
Enfance vénérable
Le ruban qui part d’un fakir
Ressemble à la glissière du monde
Le soleil a beau n’être qu’une épave
Pour peu que le corps de la femme lui ressemble
Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long
Ou seulement en fermant les yeux sur l’orage adorable qui a nom ta main
Plutôt la vie
Plutôt la vie avec ses salons d’attente
Lorsqu’on sait qu’on ne sera jamais introduit
Plutôt la vie que ces établissements thermaux
Où le service est fait par des colliers
Plutôt la vie défavorable et longue
Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux
Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui
Plutôt la vie
Plutôt la vie comme fond de dédain
A cette tête suffisamment belle
Comme l’antidote de cette perfection qu’elle appelle et qu’elle craint
La vie le fard de Dieu
La vie comme un passeport vierge
Une petite ville comme Pont-à-Mousson
Et comme tout s’est déjà dit
Plutôt la vie
"Plutôt la vie"
Clair de terre, 1923, André Breton
Sous cet arbre elle regarde autour d'elle regardant un par un les passants mais détournant vite le regard
Baisse le regard elle semble triste mais relève encore une fois la tête
Cherche encore sous cet arbre la personne qu'elle et ses sentiments attendent
Sous cet arbre
Elle est belle avec une peau pâle et des longs cheveux ébène
Ses yeux noirs perçants mais débordant d'espoir
Habillé d'une simple robe courte aux motifs de fleurs
Elle attend
Sous cet arbre
Une goutte s'abat sur une feuille de cet arbre et cette eau bleu glisse sans le vouloir en longeant la feuille verte maintenant presqu'orange
Une goutte tombe sur le nez de cette femme sous cet arbre
Un flocon tombe sur le nez rouge de cette femme assise sous cet arbre
Sous cet arbre
Elle ne s'est pas relevée et n'a pas cherché à demander qu'on vienne l'aider
Mais a bien arrêté de chercher ce qu'elle attendait
Baisse le regard elle semble triste et l'est
Les passants la voient la regardent veulent peut-être l'aider mais détournent leur regard et continuent leur chemin sans se retourner
Sous cet arbre
Recroquevillée elle s'imagine un chant d'oiseau aigu
Le soleil de midi caché par l'arbre qui danse avec le léger vent froid
Et un grand bouquet de fleurs d'une multitude de couleurs passant du rose fluo au rouge pailleté
Elle le regarde passionnée
Sans retenue elle sourit
Ferme les yeux
Et s’endort
Sous cet arbre