Publié par Mathilde
« L’angélique douceur que madame de Rênal devait à son caractère et à son bonheur actuel n’était un peu altérée que quand elle venait à songer à sa femme de chambre Élisa. Cette fille fit un héritage, alla se confesser au curé Chélan et lui avoua le projet d’épouser Julien. Le curé eut une véritable joie du bonheur de son ami ; mais sa surprise fut extrême, quand Julien lui dit d’un air résolu que l’offre de Mademoiselle Élisa ne pouvait lui convenir.
— Prenez garde, mon enfant, à ce qui se passe dans votre cœur, dit le curé, fronçant le sourcil ; je vous félicite de votre vocation, si c’est à elle seule que vous devez le mépris d’une fortune plus que suffisante. Il y a cinquante-six ans sonnés que je suis curé de Verrières, et cependant, suivant toute apparence, je vais être destitué. Ceci m’afflige, et toutefois j’ai huit cents livres de rente. Je vous fais part de ce détail afin que vous ne vous fassiez pas d’illusions sur ce qui vous attend dans l’état de prêtre. Si vous songez à faire la cour aux hommes qui ont la puissance, votre perte éternelle est assurée. Vous pourrez faire fortune, mais il faudra nuire aux misérables, flatter le sous-préfet, le maire, l’homme considéré, et servir ses passions : cette conduite, qui dans le monde s’appelle savoir-vivre, peut, pour un laïc, n’être pas absolument incompatible avec le salut ; mais, dans notre état, il faut opter ; il s’agit de faire fortune dans ce monde ou dans l’autre, il n’y a pas de milieu. »
Le Rouge et le Noir, Stendhal
Partie I, chapitre VIII, p.61-62
C’est aujourd’hui que vient cette remise en question, Julien refuse la main de la jeune Élisa, femme de chambre de la famille du maire, mais voyons, qui pouvait vraiment penser qu’il allait accepter cette stupide demande de sa part ? Ce parti n’est pas à sa hauteur ni à la hauteur de ses exigences, et de toute façon c’est moi qu’il choisira c'est certain. En tout cas, je suis tout en joie de savoir que ce mariage est refusé par Julien. Aurais-je de l’amour pour Julien ? Pourquoi oui ? Pourquoi non ? Pourquoi cette question ? Mais quelle question enfin, je n’aime pas mon époux, je ne lui accorde aucune importance. Sinon pourquoi aurais-je eu cette étincelle si rapidement ? J'aime les hommes vrais, les hommes de hautes lignées ne m'intéressent point et c'est ainsi que je me retrouve à être éperdument amoureuse de lui, c'est presque une certitude. De son côté, j'y songe, mes pulsions mêlant désirs et craintes, je me pose parfois quelques questions ; en me disant n'être peut-être qu'un simple pantin pour qu’il s’élève socialement, je doute parfois que mes sentiments soient réciproques. Mais Julien, c’est, comment expliquer cela… ? J’ai à vrai dire découvert la tendresse et le bonheur avec Julien. Je sais que je suis son premier amour, je le sais, nous sommes les parfaits compléments l'un de l'autre. Ma passion débordante a dépassé la mesure de mon entendement. Et c’est par hasard que nos mains se sont croisées mais, au moment crucial, je l’ai instinctivement retirée comme si une voix dans ma tête me disait de ne même pas y songer, comme si je savais qu’au fond de moi cet amour était impossible, et certainement inenvisageable. Mais les obstacles à notre rencontre sont levés. Oui, j’aime la jeunesse et la timidité du nouveau venu, mais je l’aime de manière maternelle. C'est un amour impossible, un amour sûrement sans retour, non partagé ; mais il y a encore peut-être une lueur d'espoir que cet amour soit réciproque. En tout cas, les différences de nos personnalités rendent cet amour impossible. L'amour exige l'amour ; il est impossible d'aimer sans vouloir être aimé, c'est tout ce que je peux dire.