Publié par Alwena et Lisa
« Quand sa mère mourut, elle pleura beaucoup les premiers jours. Elle se fit faire un tableau funèbre avec les cheveux de la défunte, et, dans une lettre qu’elle envoyait aux Bertaux, toute pleine de réflexions tristes sur la vie, elle demandait qu’on l’ensevelît plus tard dans le même tombeau. Le bonhomme la crut malade et vint la voir. Emma fut intérieurement satisfaite de se sentir arrivée du premier coup à ce rare idéal des existences pâles, où ne parviennent jamais les cœurs médiocres. Elle se laissa donc glisser dans les méandres lamartiniens, écouta les harpes sur les lacs, tous les chants de cygnes mourants, toutes les chutes de feuilles, les vierges pures qui montent au ciel, et la voix de l’Éternel discourant dans les vallons. Elle s’en ennuya, n’en voulut point convenir, continua par habitude, ensuite par vanité, et fut enfin surprise de se sentir apaisée, et sans plus de tristesse au cœur que de rides sur son front.
Les bonnes religieuses, qui avaient si bien présumé de sa vocation, s’aperçurent avec de grands étonnements que Mlle Rouault semblait échapper à leur soin. Elles lui avaient, en effet, tant prodigué les offices, les retraites, les neuvaines et les sermons, si bien prêché le respect que l’on doit aux saints et aux martyrs, et donné tant de bons conseils pour la modestie du corps et le salut de son âme, qu’elle fit comme les chevaux que l’on tire par la bride : elle s’arrêta court et le mors lui sortit des dents. Cet esprit, positif au milieu de ses enthousiasmes, qui avait aimé l’église pour ses fleurs, la musique pour les paroles des romances, et la littérature pour ses excitations passionnelles, s’insurgeait devant les mystères de la foi, de même qu’elle s’irritait davantage contre la discipline, qui était quelque chose d’antipathique à sa constitution. Quand son père la retira de pension, on ne fut point fâché de la voir partir. La supérieure trouvait même qu’elle était devenue, dans les derniers temps, peu révérencieuse envers la communauté.
Emma, rentrée chez elle, se plut d’abord au commandement des domestiques, prit ensuite la campagne en dégoût et regretta son couvent. Quand Charles vint aux Bertaux pour la première fois, elle se considérait comme fort désillusionnée, n’ayant plus rien à apprendre, ne devant plus rien sentir.
Mais l’anxiété d’un état nouveau, ou peut-être l’irritation causée par la présence de cet homme, avait suffi à lui faire croire qu’elle possédait enfin cette passion merveilleuse qui jusqu’alors s’était tenue comme un grand oiseau au plumage rose planant dans la splendeur des ciels poétiques ; — et elle ne pouvait s’imaginer à présent que ce calme où elle vivait fût le bonheur qu’elle avait rêvé. »
Madame Bovary, Flaubert, Chapitre 6
Cela va faire trois jours que ma mère est morte, une grande tristesse m’envahit. Je pleure sa disparition.
J’ai décidé d’envoyer une lettre aux Bertaux. Que puis-je écrire, à part que ma très chère mère me manque terriblement, que je souhaiterais ne jamais plus me séparer d’elle. Une idée me vient, pourquoi ne pourrait-on pas m’ensevelir dans le même tombeau qu’elle plus tard ? Oh oui, comme ceci nous serions proches l'une de l'autre pour l’éternité.
J’aime écouter les harpes sur les lacs, tous les chants de cygnes mourants, toutes les chutes de feuilles, les vierges pures qui montent au ciel, et la voix de l’Éternel discourant dans les vallons. Cela m’apaise. Je me surprends à ne plus souffrir de la disparition de ma mère désormais.
Je ne supporte plus le couvent, la discipline, la foi… Mon père me retire du couvent où je vis depuis mon adolescence.
C’est le jour de mon départ, je vois bien que les religieuses ne me regardent plus pareil, leur attitude envers moi a changé. Je ne sais pas si c’est à cause de mon comportement ou de ma lassitude à participer à la vie au couvent, mais je vois dans leurs regards qu’elles ne me considèrent plus comme la Mlle Rouault que j’étais avant le décès de ma mère.
Je suis arrivée à la ferme de mon père, chez moi, à la campagne. Mes journées, désormais, sont bien remplies. Je me plais à commander les domestiques, bien que ces idiots soient incapables. Ils ne savent même pas tenir une maison sans mes ordres, depuis que je suis partie la maison a dépéri et elle n'est plus aussi belle et propre qu'avant.
Cela fait maintenant une semaine que je suis rentrée du couvent, la campagne et la ferme me dégoûtent. Les campagnards, qui sont d’ailleurs répugnants, me lassent par leur manière de vivre. Je ne supporte plus leurs visages ignobles et répugnants de paysans.
Mon père s'est blessé à cause de cette ferme immonde, nous appelons un médecin pour qu'il se remette sur pied.
Le médecin est arrivé, il se nomme Charles Bovary, il est plus âgé que moi. Cet homme-là me conviendrait bien comme mari. Il est médecin, a une bonne situation et il a l'air de m’apprécier. Je pourrais peut-être, avec lui, trouver l'amour dont je rêve. Vivre une idylle dans notre maison à Paris, il serait un médecin de renommée, il m’achèterait de belles parures en diamants et des toilettes des plus sublimes, et notre mariage…. Notre mariage serait le plus fantastique de tous, il y aurait une centaine d'invités, le champagne coulerait à flots… Ah, ce serait la vie dont j'ai toujours rêvé. La vie comme dans les romances de la vieille lingère du couvent.
Quel homme charmant, il vient aux nouvelles de mon père tous les jours.
Je lui parle à chaque fois que je le vois, c'est-à-dire lorsqu'il vient soigner mon père. Je suis gênée quand je le vois, je fais tout pour qu'il me remarque. Je ne sais pas s’il voudra de moi pour être sa femme... Mais malheureusement, sa défunte épouse est un obstacle à notre mariage. Il ne peut pas demander ma main s'il est en deuil. Mon dieu, que cela va être long…