Publié par Lola M.
« Elle entra dans le corridor où s’ouvrait la porte du laboratoire. Il y avait contre la muraille une clef étiquetée capharnaüm.
— Justin ! cria l’apothicaire, qui s’impatientait.
— Montons !
Et il la suivit.
La clef tourna dans la serrure, et elle alla droit vers la troisième tablette, tant son souvenir la guidait bien, saisit le bocal bleu, en arracha le bouchon, y fourra sa main, et, la retirant pleine d’une poudre blanche, elle se mit à manger à même.
— Arrêtez ! s’écria-t-il en se jetant sur elle.
— Tais-toi ! on viendrait…
Il se désespérait, voulait appeler.
— N’en dis rien, tout retomberait sur ton maître !
Puis elle s’en retourna subitement apaisée, et presque dans la sérénité d’un devoir accompli. »
Madame Bovary, Flaubert (1857)
Je pense que je devais le faire, ou subir encore cette faillite. Charles se réveillera et je ne serai plus qu'un cadavre dans ses bras, son regard brillant dans le mien immobile.
J'aimerais demeurer seule pour cette soirée, que Charles me laisse respirer.
Je ne sais pas quand les premiers effets apparaitront mais je veux que cela se termine au plus vite. Cependant l'horloge indique une heure tardive qui m'incite à aller me coucher.
Plus tard dans la nuit.
Quel affreux goût âcre et toujours aucune douleur. Mais c'est bien peu de choses que la mort, je vais m'endormir et tout sera fini. Je me sens obligée de boire, ce goût d'encre continue encore et encore, puis Charles me pose tant de questions insupportables, je souhaite simplement respirer, j’étouffe. Ne s'agirait-il pas des premiers symptômes ?
Ah cette sensation terrible qui me traverse l'estomac, je n'en peux plus, je ne veux pas vomir ! Ma langue est si lourde et sèche ! J'ai si froid et si mal, les convulsions deviennent de plus en plus fortes !
De toute façon, je suis seule et personne n'aurait rien pu faire pour m'aider, j'aurais espéré pour pouvoir compter sur Rodolphe ou sur quelques autres, mais je me suis bien trompée sur leur compte. Ils disaient m'aimer mais aucun d'entre eux n’a voulu m’éviter cette honte.
Mes héroïnes de roman, elles, m'auraient comprise sur ma décision ! Je les ai toujours toutes admirées, pas une de moins ! J'aurai une fin digne des leurs et peut-être même que je ferai partie d'une histoire que l’on racontera. Ma fin aura été plus belle que si j'avais simplement attendu la mort durant des années de faillite.
C'est comme si j'avais attendu ce moment toute ma vie, je me sens enfin libérée de ce poids. Je peux me sentir fière d'avoir accompli quelque chose de romanesque, j'aurais saisi l'occasion d'écrire moi-même la fin de l'histoire de ma vie. L'agonie me donne cette énergie que je n'ai jamais eue, pour fermer les yeux à tout jamais. La douleur est si insupportable, est-que je n'en ai pas assez pris pour mourir avec cette lenteur insoutenable ?
Que je regrette de ne pas avoir été assez belle et séduisante, j'aurais pu de cette façon trouver mon plus bel amant qui m'aurait certainement aidée avant d’en arriver là ! Malgré tout, Léon ou Rodolphe, la rencontre aura tout de même fini par être décevante.
Je pense tout de même à Charles, quel dommage pour lui, je n'ai donc pas été à la hauteur pour mon époux, il n'aura pas été chanceux auprès de moi, je ne lui ai jamais donné l'amour qu'il méritait. J’espère qu'il s'en remettra, je l'ai abandonné à mes dettes et c'est encore une fois de plus la preuve que je ne l'ai jamais mérité.
Mais nous sommes si différents. Il me correspond si peu, quel ennui à ses côtés !
Le regard de ma tendre fille, elle ne se rend pas compte de cette fin qui m'attend, il ne faut pas qu'elle me regarde dans l'état dans lequel je me trouve. Je suis si désespérée de ne pas avoir été une bonne mère pour elle, j'aurais tellement aimé lui transmettre mon amour pour les lectures romantiques, lui compter de belles histoires avant qu'elle ne s'endorme, lui promettre une vie meilleure en lui évitant de faire les mêmes erreurs que moi.
Tous ces gens autour de moi…
Mon cœur bat si fort…