Publié par Gladys
« Madame de Rênal, qui se levait déjà, se rassit en disant, d’une voix mourante :
— Je me sens, à la vérité, un peu malade, mais le grand air me fait du bien.
Ces mots confirmèrent le bonheur de Julien, qui, dans ce moment, était extrême : il parla, il oublia de feindre, il parut l’homme le plus aimable aux deux amies qui l’écoutaient. Cependant il y avait encore un peu de manque de courage dans cette éloquence qui lui arrivait tout à coup. Il craignait mortellement que madame Derville, fatiguée du vent qui commençait à s’élever, et qui précédait la tempête, ne voulût rentrer seule au salon. Alors il serait resté en tête à tête avec madame de Rênal. Il avait eu presque par hasard le courage aveugle qui suffit pour agir ; mais il sentait qu’il était hors de sa puissance de dire le mot le plus simple à madame de Rênal. Quelque légers que fussent ses reproches, il allait être battu, et l’avantage qu’il venait d’obtenir anéanti.
Heureusement pour lui, ce soir-là, ses discours touchants et emphatiques trouvèrent grâce devant madame Derville, qui très souvent le trouvait gauche comme un enfant, un peu amusant. Pour madame de Rênal, la main dans celle de Julien, elle ne pensait à rien ; elle se laissait vivre. Les heures qu’on passa sous ce grand tilleul que la tradition du pays dit planté par Charles le Téméraire, furent pour elle une époque de bonheur. Elle écoutait avec délices les gémissements du vent dans l’épais feuillage du tilleul, et le bruit de quelques gouttes rares qui commençaient à tomber sur ses feuilles les plus basses. Julien ne remarqua pas une circonstance qui l’eût bien rassuré ; madame de Rênal, qui avait été obligée de lui ôter sa main, parce qu’elle se leva pour aider sa cousine à relever un vase de fleurs que le vent venait de renverser à leurs pieds, fut à peine assise de nouveau, qu’elle lui rendit sa main presque sans difficulté, et comme si déjà c’eût été entre eux une chose convenue. »
Le Rouge et le Noir, Stendhal – Chap. IX, p.72-73, Partie I
Est-ce normal qu’il me paraisse si naturel de tenir la main d’un autre homme que mon mari ? Ou bien que je mente à ma chère amie pour que ma main reste, ne serait-ce que quelques secondes de plus, dans celle du précepteur de mes enfants ? Aimer ce jeune homme, qui n’est pas mon mari, est-ce possible ? Il est vrai que M. de Rênal est l’homme que je trouve le moins ennuyeux de tous, voilà d’ailleurs pourquoi il est mon mari, mais, pour vivre l’amour, le vrai, ne faudrait-il pas qu’il soit celui que je trouve le plus captivant ?
Je n’arrive plus à savoir, ma raison a toujours pris le dessus sur mes sentiments mais aujourd’hui, rien ne les départage. L’adultère m’a toujours paru impossible puisque, pour moi, si je décide de m’unir avec quelqu’un devant Dieu, je ne peux plus revenir en arrière, ni risquer que Dieu pense que je me moque et qu’il me punisse. Mais ai-je réellement choisi ce mariage, ou ai-je seulement cédé à la pression sociétale ?
Je sais pertinemment qu’aux yeux de mon mari, je suis une épouse douce et comblée, et je l’ai toujours moi-même pensé mais, depuis l’arrivée de M. Sorel, tout a changé. Je pense avoir découvert des sensations que je n’avais encore jamais connues, alors que maintenant ma main repose dans la sienne.
Je sais que ma décision risque de bouleverser ma vie, car soit je décide de garder mon rang social, et surtout mes chers enfants, qui à mes yeux comptent plus que tout, soit je mets tout en péril pour tenter une réelle histoire d’amour et connaître la passion qui fait vibrer.
L’amour ne se contrôle pas. Un jour, il arrive, pose bagage et s’installe. Malheureusement on ne sait jamais pour combien de temps, la seule chose que l’on sait, c’est qu’il est résistant. L’amour, à l’inverse du désir, veut être comblé, et il ne se base pas sur un besoin primaire, il n’existe qu’avec une personne, « la personne ».
Toute ma vie, j’ai été calme, patiente, modérée et réfléchie, seulement, aujourd’hui, je comprends enfin le sens d’un coup de foudre. Celui-ci m’a frappé quand j’ai vu ce jeune garçon pleurer et hésitant à sonner, Julien.
Je pense qu’aimer Julien est possible, puisque c’est déjà le cas, malheureusement, je ne suis pas sûre que ma conscience me laisse vivre tranquillement avec un amant.
Il faut que j’essaie, je n’ai jamais ressenti un tel besoin et de tels sentiments pour quelqu’un. Je saurais par la suite si le jeu en vaut la chandelle.