Publié par Gabrielle
Lorsqu’elle eut treize ans, son père l’amena lui-même à la ville, pour la mettre au couvent. Loin de s’ennuyer au couvent les premiers temps, elle se plut dans la société des bonnes sœurs, qui, pour l’amuser, la conduisaient dans la chapelle, où l’on pénétrait du réfectoire par un long corridor. Elle jouait fort peu durant les récréations, comprenait bien le catéchisme, et c’est elle qui répondait toujours à M. le vicaire, dans les questions difficiles. Vivant donc sans jamais sortir de la tiède atmosphère des classes et parmi ces femmes au teint blanc.
Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler à la lingerie. Souvent les pensionnaires s’échappaient de l’étude pour l’aller voir. Elle savait par cœur des chansons galantes du siècle passé, qu’elle chantait à demi-voix, tout en poussant son aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prêtait aux grandes, en cachette, quelque roman qu’elle avait toujours dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-même avalait de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées s’évanouissant dans des pavillons solitaires.
Madame Bovary, Flaubert, page 56,58 et 59 du chapitre 6 partie 1
À chaque moment seule avec Charles, je pars dans mes pensées. Je rêve d’une vie, imaginaire, que j’ai tant rêvée, tragique et romanesque, où je serais l’héroïne de mon propre roman.
Une longue robe vert émeraude traîne sur un balcon fleuri où j’attends mon beau prince charmant, la tête posée sur ma main délicate et mon coude posé sur le bord de la balustrade. Tout à coup, arrive au triple galop mon héros sur sa magnifique monture noire, il s’arrête brusquement au bord de ma tour, il monte à l’aide du lierre qui l’entoure.
Mais notre amour est impossible à cause de la haine entre nos deux familles. Nous envisageons le suicide, éperdument amoureux comme dans toute tragédie de Shakespeare.
Non ! je suis plutôt une femme très intelligente et amoureuse en secret d’un grand et charmant scientifique. Je passe mes journées à l’observer, cachée derrière un gigantesque bureau chargé d’éprouvettes graduées, de fioles jaugées et de tonnes de solutions aqueuses. Malheureusement je suis maladroite et je fais tomber une fiole jaugée, ce qui attire son attention. J’aime également la chimie. Il le remarque rapidement au fil de nos conversations, malgré la règle qui interdit aux femmes de pratiquer une activité intellectuelle. Il y a de grands risques à défier l'ordre. Je deviens néanmoins sa partenaire de laboratoire. Malheureusement, malgré tous nos efforts et notre discrétion, nous sommes dénoncés et arrêtés ! Je suis brûlée vive en place publique comme une sorcière, une femme d’avant-garde, moi Emma…révolutionnaire !
Ce qui fait le plus mal, c’est quand je sors de mes rêveries et que je reviens à ma vie banale et monotone avec ce mari pathétique, incompétent, et inintéressant !