Publié par Maurine

« Peu après le retour à Vergy, Stanislas-Xavier, le plus jeune des enfants, prit la fièvre ; tout à coup madame de Rênal tomba dans des remords affreux. Pour la première fois elle se reprocha son amour d’une façon suivie ; elle sembla comprendre, comme par miracle, dans quelle faute énorme elle s’était laissé entraîner. Quoique d’un caractère profondément religieux, jusqu’à ce moment elle n’avait pas songé à la grandeur de son crime aux yeux de Dieu.

Jadis, au couvent du Sacré-Cœur, elle avait aimé Dieu avec passion ; elle le craignit de même en cette circonstance. Les combats qui déchiraient son âme étaient d’autant plus affreux qu’il n’y avait rien de raisonnable dans sa peur. Julien éprouva que le moindre raisonnement l’irritait, loin de la calmer ; elle y voyait le langage de l’enfer. Cependant, comme Julien aimait beaucoup lui-même le petit Stanislas, il était mieux venu à lui parler de sa maladie : elle prit bientôt un caractère grave. Alors le remords continu ôta à madame de Rênal jusqu’à la faculté de dormir ; elle ne sortait point d’un silence farouche : si elle eût ouvert la bouche, c’eût été pour avouer son crime à Dieu et aux hommes.

Je vous en conjure, lui disait Julien, dès qu’ils se trouvaient seuls, ne parlez à personne ; que je sois le seul confident de vos peines. Si vous m’aimez encore, ne parlez pas : vos paroles ne peuvent ôter la fièvre à notre Stanislas. » 

Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830

Livre I, Chapitre XIX, pages 132-133, édition Folio Classique

Mme de Rênal implorant Dieu © M.A

Mme de Rênal implorant Dieu © M.A

Pardonnez-moi, mon Dieu, cet adultère n’aurait jamais dû avoir lieu. J'ai eu tort d'aimer cet homme qui n'est pas mon mari. C'est ainsi, la raison me quitte. Jamais je ne voudrais faire de mal à mes chers enfants, et voilà puni mon fils, par ma faute. Prenez ma vie par pitié, que j'expie mes péchés.

Pourtant je ne peux choisir entre ces deux êtres que j'affectionne tant. Ne méritais-je pas une once de bonheur, d'amour ? Je ne peux trouver ceci aux cotés de mon mari et je ne peux vivre sans Julien, mon amour pour lui augmente de jour en jour.

Cependant mon Dieu ne me pardonne pas, cela me déchire le cœur. Mon dilemme est alors de voir mon enfant mourir, ou de voir l'amour que je ressens quitter ce monde.

        Je ne mérite pas le bonheur que j'ai partagé avec mon amant, me voilà punie, pourtant je n'arrive pas à me faire à l'idée de quitter Julien. Dois-je le haïr pour que mon fils retrouve la santé ? J'en viens même à penser au pire concernant Stanislas-Xavier, mon enfant, tant j'aime la cause de sa maladie.

Le néant s'installe dans mes pensées, devrais-je écouter Julien, qui me dit d'uniquement me confesser à lui et de me taire devant les autres ? Si nous n'avions pas été dans de telles circonstances, je l'aurais écouté, cependant maintenant, Dieu ne me le pardonnera pas. Il en est ainsi, si l'état de mon enfant s'aggrave, je m'en vais me repentir devant mon mari.

        Je m'excuse Julien, par avance, je vais devoir m'éloigner de vous, ou vous faire partir de cette maison, pour soulager la colère que Dieu a envers moi, et ainsi retrouver mon fils. Merci Dieu, de m'avoir ouvert les yeux. Il en est décidé, je vivrai à présent de vos désirs. Je ne trahirai plus la famille qu'on m'a attribué, même si je devais effacer Julien de mon esprit, de ma vie... Cette histoire d'adultère est finie, au revoir Julien.

Mais ses consolations ne produisaient aucun effet ; il ne savait pas que madame de Rênal s’était mis dans la tête que, pour apaiser la colère du Dieu jaloux, il fallait haïr Julien ou voir mourir son fils. C’était parce qu’elle sentait qu’elle ne pouvait haïr son amant qu’elle était si malheureuse.

 

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