Publié par Margaux
Madame de Rênal n’écoutait plus ; l’excès du bonheur lui avait presque ôté l’usage de la raison. Elle se fit répéter plusieurs fois l’assurance que Julien avait refusé d’une façon positive, et qui ne permettait plus de revenir à une résolution plus sage.
— Je veux tenter un dernier effort, dit-elle à sa femme de chambre, je parlerai à M. Julien.
Le lendemain après le déjeuner, madame de Rênal se donna la délicieuse volupté de plaider la cause de sa rivale, et de voir la main et la fortune d’Élisa refusées constamment pendant une heure.
Peu à peu Julien sortit de ses réponses compassées, et finit par répondre avec esprit aux sages représentations de madame de Rênal. Elle ne put résister au torrent de bonheur qui inondait son âme après tant de jours de désespoir. Elle se trouva mal tout à fait. Quand elle fut remise et bien établie dans sa chambre, elle renvoya tout le monde. Elle était profondément étonnée.
Aurais-je de l’amour pour Julien ? se dit-elle enfin.
Le Rouge et le Noir, Stendhal
Élisa, emplie de tristesse, vient de m'apporter la nouvelle que Julien ne veut point l'épouser. Elle me rapporte que Julien lui a confié qu'il avait pu entendre des rumeurs sur elle. Au grand dam d’Élisa, je savoure cette nouvelle car, au fur et à mesure, j'ai appris à apprécier Julien autrement que comme le simple précepteur de mes enfants.
Je me retrouve assise dans ma chambre, face à un déferlement de questions, dont celle-ci, aurais-je de l'amour pour Julien ? Cette question me taraude tous les soirs, au point de me retourner dans mon lit toutes les nuits. Les seules choses qui me barrent le chemin de l'amour, le grand, le vrai, sont mes enfants, mon mari. Dans toute cette histoire, que penseraient les gens de mon rang ?
Cet ultimatum est un choix si difficile, entre mon bonheur qui reste incertain, car je ne sais point si Julien m'aimerait en retour, et une vie de famille déjà construite, aux allures parfaites. Julien est un beau jeune homme, de bonne foi, très cultivé qui, malgré tout, reste humble.
Et si j'aimais Julien ? Cette vision n'avait encore jamais surgi. Le seul problème évident est qu’il n'est pas de mon rang, car pensons-y, en premier lieu, il fait partie de la classe ouvrière, cela demeure trop loin de ma classe sociale. De mon point de vue, je peux maintenant répondre à mes interrogations.
En effet, ayant pesé le pour et le contre, Julien a beaucoup plus de qualités que de défauts. C'est pour cette raison que je vais me jeter à l'eau, et, enfin, après toutes ces tortures, lui avouer que je l'aime.