Publié par Antoine

« Julien les vit bientôt après, chacun appuyé sur sa hache et tenant conseil. Après les avoir longtemps regardés, Julien, voyant qu’il ne pouvait rien deviner, alla se placer de l’autre côté de la scie, pour éviter d’être surpris. Il voulait penser à cette annonce imprévue qui changeait son sort, mais il se sentit incapable de prudence ; son imagination était tout entière à se figurer ce qu’il verrait dans la belle maison de M. de Rênal.

Il faut renoncer à tout cela, se dit-il, plutôt que de se laisser réduire à manger avec les domestiques. Mon père voudra m’y forcer ; plutôt mourir. J’ai quinze francs huit sous d’économies, je me sauve cette nuit ; en deux jours, par des chemins de traverse où je ne crains nul gendarme, je suis à Besançon ; là je m’engage comme soldat, et, s’il le faut, je passe en Suisse. Mais alors plus d’avancement, plus de ce bel état de prêtre qui mène à tout.

Cette horreur pour manger avec les domestiques, n’était pas naturelle à Julien ; il eût fait pour arriver à la fortune des choses bien autrement pénibles. Il puisait cette répugnance dans les Confessions de Rousseau. C’était le seul livre à l’aide duquel son imagination se figurait le monde. Le recueil des bulletins de la Grande Armée et le Mémorial de Sainte-Hélène, complétaient son Coran. Il se serait fait tuer pour ces trois ouvrages. Jamais il ne crut en aucun autre. D’après un mot du vieux chirurgien-major, il regardait tous les autres livres du monde comme menteurs, et écrits par des fourbes pour avoir l’avancement. »

Le rouge et le noir, Stendhal - PARTIE I, Chapitre V, page 34

Le questionnement de Julien

Le questionnement de Julien

Je suis perdu, je ne sais plus quoi faire… partir ou rester ? Assumer ou continuer à mentir ?  Suis-je au final quelqu’un de lâche ?  Trop de questions s’accumulent de bout en bout… mais il faut que j'y réponde par moi-même, seul, avec mes pensées.

          Comment puis-je me dire que je suis une personne lâche alors que je suis quelqu’un d’ambitieux ? Devenir domestique et précepteur de trois enfants n’a rien de très glorieux pour une personne jeune et intellectuelle comme moi. Je veux monter les échelons des classes sociales et quitter mon milieu actuel. Je veux faire carrière en me couvrant de gloire et cela n’arrivera en aucun cas en devenant un simple domestique.  

Peut-être bien que cela me permettra de gagner quelques sous mais en revanche aucun succès, ni reconnaissance, à ma juste valeur. Je préfère encore mourir ou m’enfuir plutôt que d’accepter cette proposition de M. de Rênal. De plus, si je l’accepte, je serai contraint de faire comme si je n’avais jamais vu Mme de Rênal, alors qu’au contraire je l’ai déjà aperçue auparavant à l’église, et j’ai menti lorsque mon père m’a demandé si je la connaissais.

Si j'accepte ce métier, je devrais être hypocrite car je n'ai pas envie de m'occuper de ces enfants, être domestique ne m'enchante encore moins. Ce n'est mon mode de vie de rester dans une maison à tourner en rond sans rien faire. Je veux faire des choses qui m'intéressent et être utile pour la société. Faire semblant ne m'amuse pas, je préfère être dans le réel et suivre les pas de Napoléon !

        Toutes ces conditions réunies m’amènent à porter une réflexion claire et définitive : je refuse cette proposition. L’on ne me forcera en aucun cas à devenir précepteur de ces trois enfants. Les gens peuvent me traiter de lâche s’ils le souhaitent... Cependant, je dois prendre mon courage et l’annoncer en face à M. de Rênal !

 

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