Publié par Emma & Savannah

J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends

"L'Adieu", Alcools (1913), Apollinaire

Mélancolie

Ô toi mon ange gardien.

Quinze juillet deux-mille dix-huit.

Nous ne nous verrons plus.

Nous ne nous enlacerons plus.

Le poids des années a trop pesé. Le temps nous a rattrapés.

Le regret me ronge, me submerge et pourtant je m’y vois comme dans un songe auquel je ne crois pas.

J’aurais tant aimé pouvoir t’aider, faire disparaître ta douleur et te combler de bonheur.

Dans mes rêves les plus fous, je te vois me tendre les bras, me disant tout l’amour que tu as pour moi.

Mais tu n’es plus là. Ton odeur tout près de moi. Je suis lasse de te pleurer, lasse de penser que je ne te reverrai plus.

Hélas.

Je te pleure encore, malgré mes efforts.

 

Trente ans en arrière, le premier diagnostic nous disait déjà de te dire adieu. Aussi forte que tu étais, tu as survécu à quatre cancers, prouvé la force de ta détermination, avec le soutien de la famille.

Quatre adieux.

Et trois retours, seulement trois victoires.

 

Il y a une semaine la fatigue te consumait.

Mardi nous recevions un appel de l’hôpital nous priant de venir à ton chevet.

Je n’avais plus assez de larmes, les mots manquaient, le chagrin m’étouffait. Nous nous remémorions les bons moments passés avec toi.

 

Le soir, plongée dans ma tristesse je t’entends encore chanter : « Godiam, fugace e rapido e’il gaudio dellamore, e’un fior che nasce e muore, ne piu si pud goder », de la Traviata de Verdi. « La joie de l’amour, c’est une fleur qui naît et qui meurt, dont on ne peut plus profiter. »

 

Le chagrin est devenu mon quotidien.

Quand je repense à toi…

 

Les bons moments me reviennent comme une bombe dans la tête, les fois où tu me prenais dans tes bras, où tu me racontais ta jeunesse avec nostalgie, ta rencontre avec grand-père, tout en souriant en l’imaginant toujours à l’époque, le regard dans le vide, songeant à tes regrets.

 

Je suffoque.

 

Une boule douloureuse se forme dans ma gorge.

 

Mes larmes n’en font qu’à leurs têtes, inondant mes joues, ton sourire est la seule chose dont je voulais me souvenir. Malheureusement, je ne pouvais pas ne pas assister à la cérémonie en ton honneur et manquer une chance de te dire, pour la dernière fois, « merci ». Après, quand j’arrivais à la surmonter, la dure réalité me rattrapait, je replonge indéfiniment.

 

J’ai l’impression que mon cerveau est déconnecté. Je suis toujours incapable d’assimiler les événements. Je n’arrive pas à me faire à l’idée que tu es partie si rapidement, que tu m’as laissé seule face à ma peine. Mon monde s’est écroulé, j’ai envie de hurler, de tout casser autour de moi, je sens toutes les cellules de mon corps se révolter. Pour m’empêcher de sombrer, ma mère me prend dans ses bras en me répétant que malgré l’endroit où tu te trouves, tu es et tu seras toujours heureuse.

 

Quand je suis triste, je me souviens de ce que tu me chuchotais : « La vita è nel tripudio ». « La vie est dans la joie. »

 

Mon cœur se serre.

 

Le vent de novembre m’enveloppe, mais le froid ne m’atteint pas. J’attrape une rose rouge dans un des innombrables bouquets et la serre entre mes doigts pour écraser les pétales et libérer ma colère. J’essaie vainement de retrouver une respiration régulière.

 

Quelques minutes passent et mes larmes se tarissent peu à peu. J’avale difficilement ma salive, les yeux rivés sur mes paumes ensanglantées par les épines de roses.

 

Les vannes s’ouvrent. Les mots affluent dans ma gorge.

Je suis prête à te parler.

 

 

Renée Mouden, 1941-2018

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