Publié par Seza et Yuna

Le ferry

Le ferry

     Je suis réveillé en pleine nuit par les clignotements irréguliers de la lampe de chevet.

-Jeanne, éteins cette lampe s'il te plaît, grognai-je à ma compagne.

Après quelques secondes, je remarque que cette dernière ne m'a toujours pas écouté. J'ouvre alors les yeux, pour voir que je suis seul dans le lit. Je fronce les sourcils en me levant pour aller à la salle de bain. Peut-être est-elle juste allée aux toilettes, pensai-je. Mais aucune lumière ne filtre sous la porte des sanitaires, et quand je l'ouvre, je ne trouve personne derrière. C'est en retournant lentement jusqu'à mon lit que l'évidence me saute aux yeux : je ne suis pas dans ma cabine. Malgré la pénombre, je note que mon hublot est maintenant au fond de la salle, et plus juste à côté de mon lit, comme dans mon souvenir. Il n'y a également qu'un seul fauteuil, et plus aucune télévision accrochée au mur de gauche. J'avance alors jusqu'au vieux téléphone posé en évidence sur le bureau, et compose le numéro permettant de joindre le personnel du bateau pour demander de l'aide.

-Allo ? Y a quelqu'un ? demandai-je.

Question inutile, car de l'appareil ne ressort qu'un crépitement ininterrompu, comme si toutes les lignes avaient été coupées.

-C'est pas possible...

Je sens l'inquiétude me gagner. Je ne me souviens pas avoir bu hier soir. Au contraire, j'étais crevé, et dans mes souvenirs, Jeanne et moi sommes allés nous coucher de bonne heure. Comment aurais-je pu me retrouver dans une chambre qui n'est pas la mienne ? Et où est passé ma femme ? Un grincement me tire de mes pensées, et je lève les yeux sur la porte menant au couloir, qui est maintenant entrouverte. Je retiens mon souffle, attendant que la personne ayant actionné la poignée daigne se montrer, tout en espérant que cette personne soit Jeanne. Sauf que rien ne se passe. Alors je prends mon courage à deux mains, m'approche de la sortie, tire lentement le battant jusqu'à ce qu'il touche le mur, et passe la tête à travers le seuil.

Rien à droite, rien à gauche, notai-je.

Je ne reconnais en rien le couloir dans lequel je suis, et la lumière émanant des panneaux de sorties de secours n'aide pas vraiment. Elle donne à l'endroit une aura inquiétante, une ambiance à la fois verdâtre et sombre qui n'inspire pas la confiance. Je m'engage néanmoins totalement dans le passage, tourne à droite, et m'avance dans le dédale de boyaux du ferry, en quête de ma cabine.

Je crois que je vais devenir fou.

Tout se ressemble ici : la longueur des couloirs, les portes beiges, toutes fermées, le motif de ce foutu papier peint collé aux murs... Il n'existe aucune sortie dans ce labyrinthe de galeries, vides de toute présence, humaine ou non. J'ai l'impression de vivre une nuit sans fin. Le désespoir me ronge, j'ai l'impression d’étouffer ici, que les murs se referment sur moi. Mon corps s'affaisse lourdement contre la coursive, des ombres inconnues commencent à danser devant moi. Ma tête tourne, et mes yeux se ferment, encouragés par la lueur verte ambiante. La fatigue me gagne. Je pense enfin m'endormir, ou mourir ici, quand un cri résonne le long du corridor. Un cri d'enfant, celui d'une fillette, dont les intonations ressemblent à s'y méprendre à celles de la voix de ma fille.

La panique me gagne, et je me relève à toute vitesse.

-LOLA !

J'appelle, mais elle ne me répond pas. Et c'est normal, car actuellement, mes deux enfants, Malo et Lola, sont censés être chez leur grand-mère, à des kilomètres de ce bateau. Pourtant, je ne peux m'empêcher de commencer à courir, traversant une multitude de galeries tout en m'égosillant à appeler ma fille. J'arrive soudain devant une porte métallique, qui se trouve au bout du conduit dans lequel je viens d'arriver. Après quelques secondes d’hébétude, j'actionne enfin la poignée, non verrouillée, et le battant s'ouvre. J'entre alors dans une salle immense, remplit de machines semblant toutes plus complexes et imposantes les unes que les autres, leurs ombres allongées se dessinant devant moi. Aucune d'elles n'est en marche, et pourtant une sorte de cliquetis résonne en boucle dans la pièce, dont le son se répercute sur les hauts murs m'entourant. Devant moi s'ouvre plusieurs passages dont je ne vois pas le fond à cause de la pénombre ambiante. Ici, comme dans les galeries précédentes, seules les lampes verdâtres des sorties de secours éclairent l'endroit, et je peine à distinguer mon environnement. J'aperçois néanmoins vaguement une frêle silhouette au fond d'un de ces couloirs. On dirait une petite fille, ses long cheveux bouclés accentuent la ressemblance avec ma propre fille.

-Lola ? dis-je en m'avançant prudemment vers elle.

Celle-ci ne me répond pas, et j'ai à peine le temps de faire un autre pas que la fillette s'est déjà retournée pour courir vers l'obscurité en rigolant. Je pars alors à sa poursuite, avide de réponses à tout ce qui m'arrive.

Mes pieds nus parcourent l'endroit, se posent sur le sol froid et dure de la salle, quand je sens ces derniers entrer en contact avec une substance étrange, ce qui me fait m'arrêter. Je baisse les yeux, et distingue une sorte de liquide par terre. Une goutte tombe du plafond pour venir s'écraser dans la flaque se trouvant à mes pieds. Je m'accroupis, et touche la substance de ma main gauche. Le liquide est poisseux, et l'odeur métallique s'en dégageant me glace sur place. De qui provient ce sang ?

Je relève les yeux, et me rappelle la goutte tombant du plafond.

Je décide alors, sans raison, d'aller voir l'origine de cette flaque, et marche en quête cette fois-ci de quelque chose me permettant d'aller à l'étage. Et au détour d'un des chemins, je tombe directement sur un escalier en fer rouillé. Je sais que je devrais sûrement rebrousser chemin, mais je me sens indubitablement attiré là-haut, comme si c'était Jeanne qui se vidait de son sang au-dessus de cette flaque poisseuse. L'escalier grince, et plus je monte, plus les contours de la salle à mes pieds s'effacent dans le noir. Le passage menant à l'étage atteint, j'arrive, à ma plus grande surprise, dans un endroit que je connais : le Grand Salon.

Sur ma gauche, je devine la longue scène, avec des rideaux écarlates barrant l'accès aux coulisses juste au fond. Au milieu, devant la scène, sont disposés une multitude de fauteuils bleu marine et de tables impeccables pour les voyageurs. Et à droite, je distingue le bar, avec juste derrière son étalage d'alcools. Enfin devant moi se trouve une immense baie vitrée, et on voit au travers une mer sans fin, avec en haut une lune solitaire éclairant un ciel vide d'étoiles. J'avance lentement à travers les tablées, sur mes gardes, tout en scrutant le sol à la recherche de l'origine du sang gouttant du plafond. Mais après un tour complet de la salle, je n'ai toujours rien trouvé. De plus en plus fatigué, je m'écroule sur le premier banc qui passe, et regarde la scène, le regard vide.

Soudain, un bruit assourdissant de verre qui se casse retentit derrière moi, et lorsque je me retourne, j'aperçois la plupart des bouteilles d'alcool éparpillées un peu partout autour du bar, des morceaux de verre gisant au sol. Je n'ai même pas le temps de me demander ce qu'il s'est passé que des bruits de pas et de rire se font entendre depuis la scène, et je me retourne encore un fois, pour ne voir qu'un des rideaux trembloter un peu, comme après un coup de vent trop brutal. Je cligne plusieurs fois des yeux, re-regarde le bar, et cette fois ci, toutes les bouteilles sont intactes, posées en rang serré sur leurs étagères.

Quels retournements de situations, plaisantai-je intérieurement tout en me demandant comment j'arrivais à blaguer dans un moment pareil.

J'écarte mes pensées inutiles et me focalise sur le bar. Je ne peux pas avoir imaginé tout ça, et d'ailleurs, le son du brisement du verre sur le sol résonne toujours à mes oreilles, donc ça ne peut être un mirage. Toujours sans réfléchir (chose qui m'arrive de plus en plus souvent, j'ai remarqué), je me lance vers le bar d'un pas rapide tout en contournant les sièges et tables sur mon passage. Mais plus je m'approche, plus mon pas devient incertain, et je sens mes jambes trembloter alors qu'il ne me reste que 4 mètres à parcourir.

Arrivé devant le long meuble, je scrute le mur en face de moi, mais ne vois rien. Et c'est en baissant les yeux que j'aperçois, juste en dessous des étagères, une longue trainée de sang sombre menant à une porte non loin. Mon esprit fuse, imaginant tout de suite que c'est un des membres de ma famille derrière ce battant, qui attend que je lui vienne en aide. À ce moment-là, mes jambes commencent à fonctionner toute seule, et m'entraîne vers cette porte. Je l'ouvre, traverse le passage à toute vitesse, et me retrouve, perdu, dans un océan de noirceur. Mon seul et unique repère est la lune planant au-dessus de moi, qui brille de sa lueur blanchâtre habituelle, et par l’absence des étoiles. Alors qu'à l'intérieur, il n'y avait pas un bruit, pas un mouvement, ici le sol tangue, l'air est humide et froid, je n'ai plus rien. Je suis insignifiant dans la masse d'ombres m'entourant. Mais alors que mes jambes me poussent un peu plus loin encore, je crois deviner l'ombre de quelqu'un, à une vingtaine de mètres en face de moi. Est-ce un homme ? Une femme ? Un enfant ? À force de la fixer, je remarque que cette dernière est immobile, la gravité et les secousses au sol ne semblent pas l'atteindre, alors que je peine à ne pas tomber.

Mon esprit s'imagine que c'est Jeanne qui m'attend, ou Lola, ou même Malo.

Je ne sais plus vraiment ce qui est réel ou non, si je suis déjà mort, ou juste endormi, drogué, ou peu importe. J'appelle à tour de rôle chaque membre de ma famille, mais aucun nom ne fait réagir l'inconnu, car au final, c'est ce qu'il est sûrement. Mes pieds me portent jusqu'à lui, jusqu'à ce que même moins d’un mètre ne nous sépare. Je tends ma main vers lui, mon corps agissant contre la volonté, la curiosité, et une force m'étant elle aussi inconnue ayant pris le contrôle de mon être. Un frôlement, puis ses habits tombent au sol, et il a disparu. Je lève les yeux, et vois une masse noir immense avancer à une vitesse vertigineuse jusqu'à moi.

Puis tout disparaît.

Tag(s) : #fantastique, #S1
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