Publié par Mélissa

          « Que ne pouvait-elle s’accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais, avec un mari vêtu d’un habit de velours noir à longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes !

Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu’un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d’aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l’occasion, la hardiesse.

Si Charles l’avait voulu cependant, s’il s’en fût douté, si son regard, une seule fois, fût venu à la rencontre de sa pensée, il lui semblait qu’une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d’un espalier, quand on y porte la main. Mais, à mesure que se serrait davantage l’intimité de leur vie, un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui.

La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. Il n’avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu’il habitait Rouen, d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d’équitation qu’elle avait rencontré dans un roman.

Un homme, au contraire, ne devait-il pas, tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères ? Mais il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur même qu’elle lui donnait. »

Madame Bovary, Flaubert (1857)

La fenêtre où Emma passe ses journées © M.C.

La fenêtre où Emma passe ses journées © M.C.

Je dessine tandis que Charles ce pauvre idiot, est toujours aussi ennuyeux. Il me regarde. Comme cet homme est incapable. Sa conversation est plate comme une planche à découper. Ne devrait-il pas tout savoir et tout connaître ? conseiller ? m'aider ? Il ne sait rien.

Ah ! comme la rue est vide à travers cette fenêtre ! La porte s'ouvre, c'est toujours Charles, il est tard, minuit même. Comme la bonne est couchée, c'est moi qui le sert. Il est encore plus laid de près, ses rides, ses paupières tombantes, ses cheveux tout ébouriffés sous son chapeau pointu ! Comment ai-je pu considérer cet homme nauséabond ?

Le lendemain.

Je me promène encore avec ma levrette, la hêtrée de Banneville n'a pas changé depuis hier, à la même place, les digitales et les ravenelles, les bouquets d'orties qui entourent les gros cailloux et les plaques de lichens le long des trois fenêtres. Je m'assois dans le gazon .

Mais pourquoi, mon Dieu, me suis-je mariée ? Ce mari que je ne connais pas. Il n'est ni beau, ni spirituel, ni attirant, ni distingué. Mais que fais-je ici ?

Ah ! mon Dieu. Je me rappelle encore de la distribution des prix où les messieurs se penchaient pour me faire des compliments. Tout cela est loin ! Bien loin ! Je m'en retourne vite à Tostes, Charles est encore là.

Habitué à son bonnet de coton et son foulard. Il m'embrasse à certaines heures, une habitude comme les autres, puis après, comme prévu, je me couche à côté de lui. N'y aurait-il pas un moyen, par d'autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ? Ma vie est froide. Comme un grenier dont la lucarne est au nord et l'ennui, l'araignée silencieuse, me guette. Le lendemain, la journée est pareille que la veille, Charles s'en va à la pharmacie, je promène ma levrette, je m'en reviens, Charles met lui-même son cheval dans l'écurie. La bonne s'occupe de servir, Charles me dit les uns après les autres tous les gens qu'il a rencontrés, les villages où il a été, les ordonnances qu'il a écrites et, satisfait de lui-même, il mange le reste du miroton, épluche son fromage, croque une pomme, vide sa carafe, puis s'en va au lit, se couche sur le dos et ronfle.

Ah ! mon Dieu, la lune de miel, comme on dit, aurait dû être le plus beau moment de ma vie.

Rappelle-toi, rappelle-toi le bal… Je regarde par la fenêtre, la nuit noire. Je suis invitée au bal de la Vaubyessard. Est-ce qu'à Paris une autre vie serait possible ? Mais cette Normandie ! Heureusement, il y a eu le bal… Le bal est prodigieux, la Marquise, qui est âgée d'une quarantaine d'année, se met à me parler amicalement, elle est très impressionnante. Après le Bal, retour à Tostes toujours avec Charles son cigare au bec, il se met à fumer, je sais qu'il se fait du mal. Je veux aller à Paris ! Le luxe, l'élégance, la délicatesse, c’est ça Paris, tout majestueux. Ah ! Il y a huit jours, j'étais à ce bal, mais il me semble déjà bien loin, j'y pense au quotidien.

Mon dieu, quel ennui…

 

Tag(s) : #madame bovary, #S3
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :