Publié par Malo & Julie P.
« Elle songeait quelquefois que c’étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les étoiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part. Que ne pouvait-elle s’accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais, avec un mari vêtu d’un habit de velours noir à longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes ! Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu’un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d’aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l’occasion, la hardiesse. »
Madame Bovary - Gustave Flaubert (Chapitre 7 - Première partie)
« Que je m’ennuie, mais que je m’ennuie… Ma vie à Tostes, aux côtés de Charles, est tellement décevante. En venant ici, je rêvais d’aventures fascinantes qui rempliraient mes journées de l’aube au crépuscule et qui se poursuivraient jusque dans mon sommeil. La monotonie de ma nouvelle vie m’écœure. Chaque matin, je me lève en espérant dans les heures qui suivent un renouveau. Quelque chose d’extraordinaire qui tomberait dans ma vie grisâtre pour l’animer, comme le bal de la Vaubyessard l’a fait pendant de nombreuses semaines. J’essaie toujours d’en prolonger les souvenirs, revivre les moments passés là-bas pour oublier l’ennui et le dégoût que m’apporte cette vie. En vain, chaque jour qui passe est le même que celui d’avant, ne m'apportant rien à part la fadeur ainsi qu’un goût amer dans la bouche. Même observer sous toutes ses coutures le porte-cigarette en soie verte ou m’imaginer la vie dans un Paris illuminé ne m’occupe plus.
Souvent, perdue dans l’ennui, je repense à la lingère et ses ouvrages incroyables. Je rêve de paysages romantiques, de fruits exotiques, de palais somptueux, d’un mari robuste, qui saurait manier l’épée et qui dégagerait quelque chose de charismatique, éveillant mes désirs incompris et insatisfaits par Charles. D’un mariage extraordinaire avec des centaines d’invités en Italie comme en Grèce ou encore en Écosse. Des mets raffinés, cuisinés avec grand soin par des cuisiniers venus des quatre coins du monde. Du canard aux pruneaux, des calamars au curry, du poulet coco… Rien qu’à y songer, je sens les effluves de ces délicieux plats. Au lieu de ça, je n’ai eu qu’un mariage interminable, dans une sorte d’hangar, avec comme convives seulement deux dizaine de pauvres villageois et de la nourriture lourde, avec une abondance de viandes pauvres et une pièce montée qui semblait avoir été faite par un architecte fou.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé d’aimer Charles, d’avoir tenté d’allumer une flamme, rien qu’une flamme dans les tréfonds de mon cœur désormais refroidi par les déceptions. Je pensais que donner de l’amour était facile mais malgré tous mes efforts, aucune étincelle n’est apparue. C’est comme si on avait soufflé la dernière bougie ou que la nuit était tombée depuis une éternité. D'ailleurs, Charles est comme mes journées, pareilles et sans saveur.
Je me rends maintenant compte de la folie que j’ai commise en me mariant. Que m’est-il passé par la tête ? Je me suis marié à un homme bête et plat. Des fois, je me plais à penser à ce qui se serait passé si je ne l’avais pas fait. Une vie très différente avec un mari très différent. Je l’imagine élégant, cultivé, attirant, délicat et passionnant. C’est tout ce que Charles n’est pas. Il m’amènerait au théâtre, nous irions danser dans de grands bals ou nous balader dans des rues bourdonnantes de vie. C’est tout ce que Charles ne ferait pas. Il m’irrite de plus en plus, il ne comprend rien et je ne peux l’accuser de se voiler la face car il ne se rend strictement compte de rien. Il ne voit pas, ne cherche pas, ne sait pas et à cause de ça mon aversion pour lui ne cesse de grandir. Il ne se pose pas de questions et croit que je suis heureuse, j’ai essayé mais je ne le suis pas.
Son comportement indolent m’agace au plus haut point. Il est si simple. Je rêve d’aventures et de voyages, lui ne pense qu'à ses villages, ses patients et ses mirotons. Sa personnalité est fade et insipide, il n’est ni passionné et encore moins passionnant. Tous les matins, il est d’un ridicule, avec ses cheveux hirsutes et blancs car son foulard en soie s’est relevé pendant la nuit. Ses pantalons le serrent et cela se voit, c’est un homme épais. Ses manières sont celles d’un paysan, « c’est bien assez pour la campagne » comme il dit. A cause de cela, il me fait honte de beaucoup de façons et dans de nombreuses situations. Je me sens souvent humiliée devant les autres par son comportement grotesque, et dire que c’est lui que j’ai pour mari…
Ma vie n’a plus aucune saveur depuis que Charles m’a passé la bague au doigt. Avec lui, tout n’est que désillusion. Je m'ennuie et je me morfonds car rien ne vient égayer mes journées comme je l’espère depuis longtemps. Je n’en peux plus d’attendre un événement qui n’arrivera jamais. Je suis lasse de cette façon de vivre, il ne m’arrive rien, il ne se passe jamais rien ! »