Publié par Olga

        Plus bas que moi, toujours plus bas que moi se trouve l’eau. C’est toujours les yeux baissés que je la regarde. Comme le sol, comme une partie du sol, comme une modification du sol.                       

Elle est blanche et brillante, informe et fraîche, passive et obstinée dans son seul vice : la pesanteur ; disposant de moyens exceptionnels pour satisfaire ce vice : contournant, transperçant, érodant, filtrant.                                                  

A l’intérieur d’elle-même ce vice aussi joue : elle s’effondre sans cesse, renonce à chaque instant à toute forme, ne tend qu’à s’humilier, se couche à plat ventre sur le sol, quasi cadavre, comme les moines de certains ordres. Toujours plus bas : telle semble être sa devise : le contraire d’excelsior.                                                                           

On pourrait presque dire que l’eau est folle, à cause de cet hystérique besoin de n’obéir qu’à sa pesanteur, qui la possède comme une idée fixe. Certes, tout au monde connaît ce besoin, qui toujours et en tous lieux doit être satisfait. […]

L’eau m’échappe…me file entre les doigts. Et encore ! Ce n’est pas si net (qu’un lézard ou une grenouille) : il m’en reste aux mains des traces, des taches, relativement longues à sécher ou qu’il faut essuyer. Elle m’échappe et cependant me marque, sans que j’y puisse grand-chose.

Idéologiquement c’est la même chose : elle m’échappe, échappe à toute définition, mais laisse dans mon esprit et ce papier des traces, des taches informes.

Francis Ponge, « L’Eau », Le Parti pris des choses (1942)

Les rêves d'un miroir © Olga

 

Sombre et mystérieuse, pas une once de lumière pour la perturber, cette pièce détient cet objet paraissant si banal et pourtant si spécial.

Plongée dans le noir, l’atmosphère est pesante. Cela fait maintenant plusieurs années qu’il se trouve là, enfermé entre quatre murs, dans cette pièce poussiéreuse qui ne connaît aucun passage. Les murs de briques froides sont décorés de vieux portraits dont la toile dégouline de colle, abîmée par le temps. Le seul portrait qu’il perçoit est ce vieux monsieur barbu qui le regarde d’un air supérieur. Il aimerait le détacher mais il est coincé là, en plein milieu.

La passion de ce miroir est de refléter et de rendre les humains plus heureux qu’ils ne le sont, en leur donnant une meilleure image d’eux-mêmes, mais la poussière stagnante l’empêche de briller et d’avoir le plus beau reflet. Le bois du cadre qui entoure la glace est creusé par les termites, les belles gravures d’autrefois ne ressemblent plus qu’à des crevasses. La glace, quant à elle, n’est plus si éclatante que jadis, elle est rayée et sale comme si un brouillard stagnait perpétuellement dans la pièce.

Ce miroir à l’âme si pur aurait préféré être à l’entrée d’une jolie maison familiale éclairée par de beaux lustres éblouissants, reflétant leur lumière.

Ce miroir aux grands rêves restera là, à prendre la poussière pour encore quelques années.

Il aura le temps de penser et d’imaginer, de rêver et d’espérer. 

 

Tag(s) : #francis ponge, #1G2
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