Publié par Rachel

(...) Souvenez-vous. La venue d'Hélène dans ce jardin. Vous dormez dans une chaise longue. Hélène s'approche, attentive. Troublée par cet ordre du sommeil auquel le moindre fragment de votre corps se soumet, sans réserve. Son visage tout près du vôtre. Pendant plusieurs minutes. Puis elle repart, avec un gain de lumière dans ses yeux, un surcroît de légèreté dans ses pas. Ses pieds nus dans l'herbe fraîche. Je la regarde s'éloigner. Je vois cette lenteur qui l'affecte, cette merveilleuse infirmité de la lenteur. Elle revient, le lendemain, toujours par cet espace vide dans la haie. De plus en plus souvent. Elle ne nous parle qu'au bout de plusieurs semaines, pour demander un verre d'eau.

(...) Il a plu durant ces quelques lignes. Je ne m'en aperçois qu'à présent, par cette fraîcheur ressuscitée du lilas contre la fenêtre.

« Cette fraîcheur ressuscitée du lilas devant la fenêtre »

Christian Bobin, L'Enchantement Simple (1986)

L’érable aux feuilles d’automne à travers la fenêtre © Rachel

 

       Mélusine me mène par ici et là. Ça pleut. Le bruit des gouttes résonne dans l'étang. Les carpes s'y camouflent au fond, elles y sont imperceptibles. Nous marchons sur la passerelle, illuminée de lanternes colorées. Leur éclat me rend amaurose. La brise mugit et l'ombrelle s'envole. Nous nous empressons, l'eau coulant sur nos manteaux et notre peau. Une fois arrivées, une chaleur enivrante me pique les nasaux, mêlée aux arômes de muscade et de cardamome. L'odeur du muguet dans un vase difforme me rappelle la jeune Mélusine. Elle m'en avait offert. Installées, nous entendons des anciens. Il y a les anciens, qui disent tout connaître du siamois au marsouin, et qui, avec le temps, ont fait de cet endroit leur tanière ; ils y hibernent et marmonnent aux damoiseaux d'ici leurs mémoires. Et il y a les anciens qui, marqués par on ne sait quoi, préfèrent prétendre être muets comme des carpes. Je réalise que j'aimerais décrire cela indéfiniment. Pas seulement les anciens, mais aussi les mômes pleurant au loin, tombés des escaliers. L'amabilité des damoiseaux. Les meubles en marbre vert de Maurin. La météo mouvementée. Le parfum de cigarette dès que l'on sort. Les couleurs de chaque reflet de l'étang dont la lueur éblouit et embrasse le visage de Mélusine.

*

Mardi. Il n'est même pas l'aube. Le sentiment de l'eau qui émerge peu à peu. Celui des masses qui pend à mes yeux. Celui de ma peau gelée. Celui des oreilles qui me murmure son bourdonnement. Celui des moineaux qui se mettent à chanter. Celui de la lumière qui commence à me consumer. Je retrouve Mélusine. À la fenêtre, on remarque l'érable aux feuilles d'automne alors que nous jouons. Ça fait un moment qu'elle me dit comme il est sublime. Elle place une dame de cœur et remporte la partie. Près de la cheminée, emmitouflées dans mon écharpe de cachemire, nous papotons, nous rions. Je vois le reflet des flammes dorées dans ses yeux épuisés, et pratiquement fermés par la chaleur du foyer. Ce moment, dire, comme éternellement. J'écris ça le matin, nous nous sommes endormies. Je me rends compte que j'aime simplement profiter.

*

Soirée chez Mélusine. Sa petite sœur m'enlace. On a mis de la levure dans une tarte. La meringue était molle. Je n'y ai même pas goûté, l'amertume du pamplemousse n'est pas mon goût. Dans le canapé, les couvertures sur nos corps réchauffés, on sent Noël approcher, nos chocolats chauds fin prêts, le calendrier de l'avent terminé. Le sapin manque mais l'atmosphère y est. Une fois montées à l'étage, on respire les fragrances et les maquillages. Mimi nous fuit, elle se hâte de descendre les marches. Je perçois ses poils voler et se coller sur les solives du plafond, fraîchement repeintes. En entrant, je fais attention à la porte qui grince. Les lampes rouges me donnent la migraine. Tandis que Mélusine s'amuse, ronchonne, et embrasse ses cheveux, je me cache sous les draps, au bord de la crise d'épilepsie. À moitié endormies, nous nous racontons les potins et rions tellement que la boîte à mouchoirs finit vide. On se calme, morfondues dans notre lit, qui sent l'odeur du peu de douceur qu'il y a dans un citron vert. Il est presque le matin, on peut distinguer l'érable aux feuilles d'automne à travers la fenêtre. Je vais dormir.

Bonne nuit Mélusine.

 

Tag(s) : #christian bobin, #1G2
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