Publié par Nathan P.

       Telle est, semble-t-il, la fonction physique de cette espèce de tapisserie à trois dimensions à laquelle on a donné le nom de végétation pour d'autres caractères qu'elle présente et en particulier pour la sorte de vie qui l'anime... Mais j'ai voulu d'abord insister sur ce point : bien que la faculté de réaliser leur propre synthèse et de se produire sans qu'on les en prie (voire entre les pavés de la Sorbonne) apparente les appareils végétatifs aux animaux, c'est-à-dire à toutes sortes de vagabonds, néanmoins en beaucoup d'endroits à demeure ils forment un tissu, et ce tissu appartient au monde comme l'une de ses assises.

Francis Ponge, « La végétation », Le Parti pris des choses (1942)

Le nanomonde © Nathan P.

 

La cellule

La cellule se débat dans un espace lui étant accordé au nanomètre près, dont les parois ne laissent à peine chacune respirer avec humilité l’effort laborieux qui lui incombe. En effet les cellules portent toutes une fonction spécifique, différente d’un groupe de cellule à un autre ; elles ne cessent point un seul instant de répondre à cette fonction. À l’œil, les cellules semblent visqueuses, immobiles par moments, bringuebalantes par d’autres ; toutes foutues d’une manière hasardeuse l’une à côté de l’autre.

Ensemble elles forment un corps ; des milliers d’entre elles forment un mollusque, quelques millions forment un buisson, quelques milliards, une gymnaste. Or, s’il en est ainsi, c’est que sa carrure lui porte préjudice, à peine visible aux trois verres d’Hooke ; incapable de fonctionner individuellement et de s’autosuffire, c’est ici que réside sa force, dans la coalition dans le nanomonde, dans une entraide collective composée d’un nombre exponentiel d’individus. Un métabolisme laborieux et consciencieux, pourtant dépourvu de conscience propre, œuvrant pour le bon déroulement du cycle de l’évolution. 

Chacune de ces formes possèdent une forme particulière ; ils portent pourtant une même mission : faire fonctionner le métabolisme d’une espèce. Comme un mécanisme compliqué ; précis mais tout aussi hasardeux à la fois. Une société gigantesque qui fonctionne individuellement mais qui se complète d’entité en entité, afin d’assurer la vie. Un mécanisme parfait, tout du moins jusqu’au moment où les cellules en question rentrent en contact avec une source de mutation m. Il y a alors modification de la séquence d’acide désoxyribonucléique, et, par conséquent, changement d’état de la cellule : la couleur, les composés chimiques et d’autres spécificités subissent aussi une transformation. De même, les composés chimiques sont au cœur du fonctionnement et du changement d’état des cellules. Ainsi celles-ci, tout au long de leurs vie éphémère, subissent toutes sortes de modifications qui ne leur sont qu’irréversiblement imposées.

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La cellule évolue constamment, au détriment d’une indifférence remarquable, sans porter le moindre regret à consacrer l’entièreté de sa vie à faire fonctionner un corps plus gros qu’elle. Ne portant pas de conscience propre, elle est soumise à l’immensité du monde, à sa création, à sa machination : à l’évolution. Elle ne peut revendiquer sa liberté. 

 

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