Publié par Donia
Le pied furtif de l'hérétique
Vers six heures, l'hiver, volontiers je descends l'avenue à gauche, par les jardins, et je me cogne à des chaises, à des petits buissons, parce qu'un ciel incompréhensible comme l'amour qui s'approche aspire tous mes yeux. Sa couleur à peu près éteinte n'est pas définissable : un turquoise très sombre, peut-être, l'intense condensation d'une lumière qui échappe au visible et devient le brûlant-glacé de l'âme qu'elle envahit. Sur des lacs filent sans aucun bruit les convois de nuages, sans aucun bruit. La foudre surprendrait moins que cette explosion de silence qui ne finit plus. [...]
Je rentre. Il y a des œufs, du fromage, du vin, beaucoup de disques où, grâce à des boutons, on peut mettre en valeur la partie de la contrebasse. Ainsi je continue d'avancer, pizzicato. Est-ce que je suis gai ? Est-ce que je suis triste ? Est-ce que j'avance vers une énigme, une signification ? Je ne cherche pas trop à comprendre. Je ne suis plus que la vibration de ces cordes fondamentales tendues comme l'espérance, pleines comme l'amour.
Jacques Réda, Les Ruines de Paris (1977)
Les feux la nuit rue Jaurès à Brest - Haut de Jaurès © Donia
Ville sentimentale
Me voilà dehors, à peine la tête levée
La première goutte de pluie est déposée sur mon visage
Premier pas et je me retrouve dans une flaque.
J'entends un bruit lourd, il provient des dernières boutiques
Descendant leur rideau métallique
La lumière s'affaiblit.
Il fait sombre mais les lampadaires et les feux de signalisation
Éclairent la longue descente de Jean Jaurès
Plus un bruit mis à part celui du tramway qui traverse Brest.
Plus aucun signe de vie mis à part celui des personnes ivres noyées dans leurs idées.
En descendant tout en bas, j'arrive au port
L'odeur me berce et le sommeil m'emporte
Il reste des pêcheurs disposés sur le long du quai
Mais aucun ne prête attention aux autres
Je me penche au-dessus du muret en pierre
Et vois mon reflet et celui de la lune par-dessus les vagues agitées.
Puis je retourne vagabonder dans la ville de Brest.
Je remonte et me voici en face de la gare.
Les cars déposent et emportent des gens.
Certaines familles se retrouvent et certaines se séparent
Je n'arrive pas à voir si leurs larmes sont de bonheur ou de malheur
D'autres sont seuls avec un sac à dos et aucune compagnie
Une fois dans la gare c'est le même scénario
Les gens attendent leur train et abandonnent Brest…
Me voilà épuisée, je me rends donc à Liberté
Là où beaucoup de bus passent, il est tard mais la ligne Provence est toujours de service
Je passe devant la Mairie en bus
Et cela me rappelle les jours où les manifestants la monopolisent afin de se faire entendre
Elle me fait penser aux feux d'artifice projetés dans le ciel afin de fêter et d'embellir le ciel noir
Peut-être que pour eux « noir » rime avec ennui, malheur et désespoir ?
Je trouve cette couleur réconfortante et apaisante, peut-être que je suis-je étrange ?