Publié par Erell

     « La pluie ne forme pas les seuls traits d'union entre le sol et les cieux : il en existe d'une autre sorte, moins intermittents et beaucoup mieux tramés, dont le vent si fort qu'il agite n'emporte pas le tissu. S'il réussit parfois dans une certaine saison à en détacher peu de choses, qu'il s'efforce alors de réduire dans son tourbillon, l'on s'aperçoit à la fin du compte qu'il n'a rien dissipé du tout.

     À y regarder de plus près, l’on se trouve alors à l'une des mille portes d'un immense laboratoire, hérissé d'appareils hydrauliques multiformes, tous beaucoup plus compliqués que les simples colonnes de la pluie et doués d'une originale perfection : tous à la fois cornues, filtres, siphons, alambics.

     Ce sont des appareils que la pluie rencontre justement d'abord, avant d'atteindre le sol. Ils la reçoivent dans une quantité de petits bols, disposés en foule à tous les niveaux d'une plus au moins grande profondeur, et qui se déversent les uns dans les autres jusqu'à ceux du degré le plus bas, par qui la terre enfin est directement ramoitie. »

« Végétation » (p76), Le parti pris des choses, Francis Ponge

Sapins © Erell

Sapins © Erell

          La forêt qui paraît minuscule de loin et interminable de près, nous réserve de nombreuses et belles surprises. Peuplée d'arbres de couleurs plus ou moins chatoyantes et vives, tout juste sortis de terres ou centenaires, elle est comme une maison pour tous. Ces arbres se soutiennent côte à côte, grandissent, vieillissent, se séparent ou meurent ensemble. Ils abritent et préservent tous les mystères des êtres ayant un jour franchis la porte de cette maison. Et même s'ils font tous partie de la même famille, ils ont leurs noms propres : le sapin, majestueux entre tous, le châtaignier, le chêne, l'érable et bien d'autres encore...

        À y regarder de plus près, le sapin est le chef de cette communauté, raide comme un soldat au garde à vous. Il se dresse autour d'un tronc bien droit et d'un vert sombre et profond, il impose sa puissance tel un roi fier et fort. D'une toute petite graine cachée entre les écailles des pommes de pin de ses ancêtres, il grandit tout doucement, s'enracinant profondément en terre comme les fondations solides d'une maison. Bien ancré au sol, il résiste aux pluies torrentielles, aux vents et sécheresses. Ses racines le maintiennent droit, rivalisant avec les plus hauts immeubles des grandes villes. Frôlant les nuages, il a le privilège de côtoyer les oiseaux, de ressentir leurs battements d'ailes et de prévoir la météo.  Cet arbre de vie est le seul à garder ses aiguilles au fil des saisons, toujours habillé parmi ses voisins effeuillés. Il est l'abri, le refuge, l'endroit où peuvent se retrouver tous les petits êtres épeurés. Il est rassurant de savoir que dans cette immense forêt, le sapin remplit son rôle avec ferveur et sans discrimination.

        Un autre avenir est réservé à certains sapins. Appelés "redingotes de sapins", ils pourront devenir la dernière demeure du commun des mortels. Outre ce macabre objet, leur odeur entêtante et forte annonce aussi dans l'expression populaire une fin proche. Plus heureux, seront ceux choisis par des enfants espiègles, pour trôner au milieu du salon, le vingt-cinq décembre. Enguirlandés et couverts de lumière ils sécheront doucement, entourés de cadeaux.

 

Tag(s) : #francis ponge, #1G7
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