Publié par Noan B.-M.
Le regard singulier d’une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;
Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ;
Un baiser libertin de la maigre Adeline ;
Les sons d’une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l’humaine douleur,
Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poëte pieux ;
Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie,
— Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !
Charles Baudelaire, Le vin du solitaire, Les Fleurs du mal (1857)
« Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc » (vers 2) © Noan
Solitude inéluctable
Solitaire, ne coulant point du tavernier,
Tu rejoins tôt l’inéluctable au Paradis ;
Tes mains en croix, ton corps sur la table allongé,
Ton visage à l’angle des lèvres nous sourit.
Ô Solitude, toi qui attires les ivrognes !
Ô Solitude, toi qui condamnes souvenirs !
Toi que Satan côtoie, à qui impose besogne,
Toi qui tournes la page de nos piètres récits.
Je m’effondre face à toi, sans aucun pouvoir,
Porter les larmes de ma mère est mon devoir.
Solitaire est donc l’ivrogne assis à son bar,
Mais aussi Celle-là même dont le Ciel s’empare.
Mots du printemps plus légers que ceux de l’automne,
« Un dernier au revoir » est phrase redoutée
Comme voir s’effondrer les piliers admirés,
Nous refusons d’oublier ceux qu’on affectionne !
Du haut de mes dix-sept années, j’avais promis
Qu’à la lecture des écrits de Charles Péguy,
Les sanglots, eux, n’auraient place dans ma dictée.
Face aux larmes d‘Autrui, le promis : oublié !
N’oublie pas – Solitaire privé de tout geste,
Toi, six pieds sous terre, dans la trappe funeste –
De voir disparaître en terre ton nom, seul gravé,
Magnifié par les roses, couleur tant aimée !
Citation photographiée de Charles Péguy © Noan