Publié par Ambre
Rue des Tournelles, j'admire la Boucherie du Génie. D'un peu plus loin montent par rafales comme des accents de tango. Et à mesure que j'avance au milieu de la chaussée déserte, en effet ce vieux rythme opiniâtre et la mélodie se font précis, j'arrive à hauteur d'un café où je ne distingue personne, sauf le long du comptoir un monsieur et une dame entre deux âges, qui dansent avec ferveur mais componction, presque submergés par l'immensité de ce dimanche. Et moi je poursuis mon chemin, le nez en l'air parce que des nuages d'ardoise se déchirent, il va pleuvoir, la lumière qui l'annonce palpe les toits et les arbres soudain volumineux et proches, comme une aveugle, n'oubliant rien.
Jacques Réda, Les Ruines de Paris, « Sans bruit et presque sans paroles », 1977
À l’Ouest, toujours plus à l’Ouest, le Ponant
Je marche le long de petites routes campagnardes, traversant de minuscules villages arborant avec fierté leurs beaux enclos paroissiaux, témoins de temps de dévotion, de fêtes mais aussi de misère et d'effroi. De petits villages occultés me regardent, moi simple passante. La campagne est illuminée par les buissons de rhododendrons tachés de rouge, rose, et orange. C'est le printemps à Brest, ville du Ponant, qui se profile à l'horizon, faisant la cour à la mer. Je laisse derrière moi l'odeur suave de l'herbe fraichement coupée.
Où est passée ma jeunesse ? Vais-je pouvoir revivre mes premiers émois, mes premières découvertes dans Brest, encore intacte, mais bientôt en ruines sous une pluie d'obus, de bombes, anéantissant un passé à jamais disparu ?
Dans cette quête d'un temps révolu, une question me vient : cette créature effrayante faite de maisons, d'immeubles et de commerces qui me stoppe dans ma poursuite, ne révèlerait-elle pas quelques trésors cachés d'un autrefois martyrisé ? Je continue à marcher à droite et à gauche, des maisons grises toutes semblables les unes aux autres me conduisent vers le centre-ville sobre et majestueux. Des noms me viennent en tête : le Boulevard Jean Jaurès, la rue de Siam, Barbara, rappelle-toi Jacques Prévert. Mon regard se pose sur le ciel toujours changeant, grisâtre et bleuté. C'est de ce ciel que le feu est tombé. Croisant quelques passants, certains muets et d'autres plus loquaces et guillerets tels des témoins de la vie qui reprend son cours, différente mais porteuse d'espoir. Tout au bout de la rue de Siam, j'aperçois le port et les navires, c'est le Ponant. Brest, ville du Ponant ! Des témoins rajeunis du passé surgissent. Le château, le musée, la tour Tanguy, et me voilà à Recouvrance. Plus loin, les Capucins rendent hommage aux travailleurs de la mer. Où êtes-vous boulangers, épiciers, cordonniers ? Je vous cherche en vain dans ce dédale de rues. Soudain, le ciel de la ville s'éclaire, les rayons du soleil se posent en un geste apaisant : l'espoir est donc possible et le présent porteur de bienfaits existe !
Et la vie poursuit sa route, maritime forcément…